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Une simplification pas si simple…

16/12/2009

Le parlement de la Communauté française a adopté le 17 février à l’unanimité une proposition de résolution qui prévoit d’organiser au mois d’octobre les Etats généraux de la presse et des Médias.


Version longue de l’article publié dans Journalistes n°110, décembre 2009 : à télécharger en cliquant sur ce lien (PDF).

L’histoire commence en France, en 1988, lorsque le Syndicat national des instituteurs publie dans son hebdomadaire les résultats d’une enquête sur l’orthographe menée auprès de ses membres. 90% des 1.200 répondants s’y disent favorables à une simplification « raisonnable et progressive » de l’orthographe. Un an et quelques débats plus tard, le premier ministre français Michel Rocard crée le Conseil supérieur de la langue française et lui confie pour mission de proposer des révisions orthographiques. Celles-ci seront présentées le 19 juin 1990 par Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie française, dans un souci « de formuler des propositions claires et précises sur l’orthographe du français, d’y apporter des rectifications utiles et des ajustements afin de résoudre (…) les problèmes graphiques, d’éliminer les incertitudes ou contradictions, et de permettre aussi une formation correcte aux mots nouveaux que réclament les sciences et les techniques. »
Mais près de vingt ans se sont écoulés sans que cette réforme parvienne à s’imposer en France. Puisque l’Académie française considère qu’aucune des deux graphies, la classique et la rénovée, ne peut être considérée comme fautive, la première reste la plus couramment utilisée. Tandis que les dictionnaires intègrent, au fil de leurs éditions, complètement ou partiellement comme c’est le cas du Robert, les nouvelles dispositions orthographiques.
Et saviez-vous que cette nouvelle orthographe infiltre votre quotidien sans que vous vous en aperceviez particulièrement ? Aussi, le correcteur orthographique du traitement de texte Word – le plus largement répandu – intègre-t-il, depuis la version d’Office 2003, les deux types de graphie. Thierry Fontenelle, un linguiste belge ayant rejoint le siège de Microsoft à Redmond (Etats-Unis) en 2001, suit de près les évolutions de notre langue écrite. Sur son blog, on apprend également que le correcteur informatique de Microsoft s’est vu décerner le label de qualité de l’association Orthographe recommandée.

Recommandée, pas imposée

En Belgique, la nouvelle orthographe redevient une affaire politique dès la rentrée scolaire 2008. Une circulaire ministérielle invite alors les professeurs de français à enseigner prioritairement les graphies rénovées, sans les y contraindre pour autant. Comme en 1990 en France, la levée de boucliers est immédiate. L’éditeur de livres scolaires Plantyn interrogera mille professeurs tous réseaux et niveaux confondus : 61% d’entre eux se prononcent contre la nouvelle graphie et 51 % estiment que l’éditeur ne devrait pas l’appliquer dans ses manuels. Pour Plantyn, les conséquences du flou de cette circulaire sont multiples : « Certains professeurs choisissent d’enseigner les graphies rénovées, d’autres s’y refusent. Certains manuels l’appliquent, d’autres l’ignorent ou proposent même les deux. Un manque de clarté à ce sujet ne peut qu’accroître leurs difficultés« , écrit l’éditeur aux ministres Dupont, Laanan et Tarabella.
Interpellé sur le sujet en Commission de l’éducation du Parlement de la Communauté française, le 26 mars dernier, le ministre de l’enseignement, Christian Dupont, constate que « la population a été peu réceptive à la nouvelle orthographe (…). De plus, l’information a été insuffisante. (…) Cela étant, la nouvelle orthographe doit s’enseigner avec prudence car l’ancienne reste valable. (…) Mais si deux graphies restent correctes, personne ne pourra jamais forcer l’usage de l’une plutôt que l’autre. C’est l’existence de graphies concurrentes qui pose problème. » Pour conclure, il reconnaissait que « l’usage évoluera sans doute mais la nouvelle orthographe ne sera jamais généralisée. »
Quelques jours plus tôt, le 16 mars, plusieurs de nos médias adoptaient, à leur tour, la nouvelle orthographe : tout au long de la semaine de La langue française en fête, le sites internet de trois groupes de presse quotidienne (Vers l’Avenir, IMP et Le Soir) proposent leurs articles en « ancienne » et « nouvelle »» orthographe via un logiciel de conversion, baptisé Recto/Verso, développé par le Centre de traitement automatique du langage de l’UCL. L’initiative émane du Service et du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Communauté française (lire ci-contre), conscient de la nécessité de mieux informer le grand public. « Cette action est particulièrement significative, parce que l’adoption par les grands éditeurs reste une nécessité pour la diffusion de la nouvelle orthographe. Elle a également une valeur pédagogique (…) et rappelle en outre que notre langue n’est pas un outil rigide. »
En juin, le magazine Prof, édité par la Communauté française et distribué gratuitement à tous les enseignants, adoptait la nouvelle orthographe dans ses pages. Quant au logiciel Recto/Verso, il enregistrait, début août, quelque 2,5 millions de textes « traduits ».

« On ridiculise la langue »

Enthousiasme d’un côté, interrogations et critiques acerbes de l’autre. Christian Nauwelaers, correcteur indépendant officiant notamment à La Libre Belgique, fait partie de ces farouches opposants à la nouvelle orthographe, ou « ortograf » comme il l’épelle. « Le problème, c’est qu’elle s’impose chez nous à la hussarde alors que les Français ne l’ont toujours pas avalisée. D’autant que ces nouvelles graphies, au lieu de simplifier l’orthographe, ne font que la compliquer davantage. Des absurdités ? Un sèche-cheveu, des sèche-cheveux, pour ne citer qu’un exemple ! Voilà comment on ridiculise la langue, au motif qu’elle deviendrait de plus en plus difficile à apprendre ! »
Notre orthographe a subi de nombreuses transformations depuis ses premières codifications – de même, le français que l’on parle aujourd’hui n’est plus qu’un lointain parent de celui pratiqué à la Cour de France : on compte pas moins d’une dizaine de réformes depuis le XVIIe siècle, époque de la création de l’Académie française. Et pour Jean-Paul Heerbrant, historien et directeur du Centre Albert Marinus, spécialisé en ethnologie populaire, « La caractéristique d’une langue vivante est qu’elle s’adapte à l’usage, Bien sûr, l’Académie reste le gardien de la langue mais les autres pays francophones disposent aussi de leur propre académie de langue et de littérature. La nôtre avait favorisé la féminisation de certaines fonctions en 1993. Cette réforme a plutôt bien été adoptée mais elle revêt, à mes yeux, plus de sens que celle de 1990. S’il faut transformer la langue, la rendre plus moderne et plus facile à apprendre dans une perspective de rayonnement international, pourquoi ne pas en simplifier la grammaire ? »

« En finir avec le fétichisme »

En France, le débat sur l’orthographe a été relancé à la rentrée par la publication de Zéro Faute (éditions des Mille et une nuits), pamphlet militant pour une refonte complète de la langue écrite. Il est signé par le journaliste et écrivain François de Closets, pour qui le fétichisme de la graphie est tout bonnement voué à disparaître. « La grande mutation de notre langue se déroule sous nos yeux dans l’incompréhension générale. Les nouvelles technologies, qui font de l’écriture le moyen de communication privilégié du XXIe siècle, condamnent le statut de l’orthographe dans notre culture. La dictée n’est plus la même à l’heure du SMS. Mais entre l’intégrisme des uns et le laxisme des autres, la fossilisation de l’écrit et le dérapage de l’oral, les Français risquent de manquer la chance d’un renouveau linguistique. »

Laurence Dierickx

Mode d’emploi

Environ 2.000 mots sur les 60.000 répertoriés dans le dictionnaire (Le relevé le plus exhaustif tournerait autour de 600.000 ou 700.000 mots) sont concernés par la réforme orthographique de 1990. Dans un document téléchargeable sur son site,  » 7 règle spour simplifier l’orthographe »le Conseil de la langue française en énonce ses axes principaux.
Une association belge milite depuis 1991 pour la diffusion de la nouvelle orthographe auprès du grand public : l’Association pour l’application des recommandations orthographiques (APARO, membre du réseau pour la nouvelle orthographe), présidée par Michèle Lenoble-Pinson, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis et vice-présidente du Conseil de la langue française et de la politique linguistique.

 

Question à Jean-Marie Klinkenberg

Jean-Marie Klinkenberg enseigne les sciences du langage à l’Université de Liège et préside le Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Communauté française.

Certains reprochent à cette réforme de n’avoir pas été assez loin…
J.-M. K. : « On étudie actuellement la possibilité d’une réforme de l’orthographe grammaticale, qui n’aura pas lieu dans l’immédiat : chat échaudé craint l’eau froide et la situation actuelle n’est pas favorable à des décisions radicales en la matière. L’Observatoire international de la langue française planche sur ce dossier. Mi-septembre, il lui a consacré, à Paris, une journée d’études, fortement influencée par le travail effectué au sein de la Commission orthographe du Conseil belge. La Suisse est également associée à ces travaux, puisqu’elle dispose depuis 1991 d’un organisme de représentation officiel. Par contre, il n’y a toujours pas de partenaire officiel dans les pays africains, même si nous essayons d’établir un dialogue nord-sud. »

» Suite de l’interview à lire dans Journalistes n°110

Et dans les rédactions ?

Dans votre média, se réfère-t-on à l’ancienne ou à la nouvelle orthographe? Quelles sont les règles internes d’harmonisation orthographique, s’il y en a (2) ? Faites-vous appel à un correcteur (3) ? Quel est votre dictionnaire de référence (4) ? Journalistes a posé ces quatre questions à plusieurs responsables de rédaction. Leurs réponses sont à lire dans Journalistes.

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