Un Belge sur cinq lit la presse en ligne
Si l’offre d’information n’a jamais été aussi importante et variée qu’aujourd’hui – développement des journaux gratuits (23% des quotidiens diffusés en Europe sont des gratuits), boom de l’information en ligne (le plus souvent gratuite, elle aussi), et apparition de nouveaux supports de lecture (téléphones mobiles, tablettes…) –, reste que les éditeurs de journaux sont confrontés aux effets de la crise. Une situation globale complexe et nuancée que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vient de décortiquer dans un rapport de 96 pages consacré à la presse d’information papier et en ligne.
Un marché de 164 milliards de dollars
The evolution of news and the internet (le rapport est rédigé en anglais) dresse un portrait assez complet de la situation dans les pays membres de l’OCDE. Un portrait d’abord économique, avec un marché global de l’édition d’information (presse papier et en ligne) estimé à 164 milliards de dollars en 2009. A titre de comparaison, celui de la musique enregistrée est de 27 milliards de dollars, celui des jeux vidéo, de 55 milliards ; celui des films et du cinéma, de 85 milliards ; et celui de l’édition de livres, de 112 milliards.
On observe, de 2004 à 2008, une croissance du marché des quotidiens dans la plupart des pays membres (+50% en Turquie, +35% en Grèce), à l’exception de 5 pays où des baisses ont été enregistrées : les Etats-Unis (-20%), le Japon (-9%), le Royaume Uni (-7%), le Canada (-2%) et les Pays-Bas (-1%). Mais dès 2008, un ralentissement s’amorce : -34% aux Etats-Unis par rapport à 2004, -22 % en Grande Bretagne et -18% au Japon pour les pays les plus affectés. 2007-2009 constituent peu ou prou trois années de pertes, notre pays s’en tirant plutôt pas mal (-8%) dans un contexte économique morose. (Photo Belpress.com)
Le volume de l’emploi au sein des groupes de presse quotidienne bat également de l’aile : la forte croissance observée dans ce domaine au cours de la deuxième moitié du 20e siècle n’est plus qu’un lointain souvenir. De 1997 à 2007 (tableau ci-dessous), il a diminué de 53% en Norvège, de 41% aux Pays-Bas, de 25 % en Allemagne et de 12% aux Etats-Unis. Dans notre pays, il a néanmoins légèrement augmenté : + 2%.
(en nombre de personnes)
1997
|
2000
|
2005
|
2006
|
2007
|
per cent change
between 1997 and 2007 (or first and last available year) |
|
United States |
403355
|
412627
|
380144
|
372048
|
356943
|
-12 per cent
|
Germany |
105427
|
80517
|
79691
|
77101
|
-25 per cent
|
|
United Kingdom |
51756
|
46279
|
53905
|
52047
|
1 per cent
|
|
Japan |
61846
|
59117
|
52683
|
52262
|
50911
|
– 18 per cent
|
France |
30446
|
31555
|
30779
|
30734
|
1 per cent
|
|
Spain |
14155
|
17731
|
20507
|
23062
|
63 per cent
|
|
Sweden |
17210
|
15736
|
14308
|
15375
|
15320
|
-11 per cent
|
Korea |
21200
|
14662
|
13313
|
12679
|
14897
|
-30 per cent
|
Poland |
9853
|
13090
|
12898
|
12829
|
30 per cent
|
|
Netherlands |
21474
|
21468
|
12888
|
12779
|
12712
|
-41 per cent
|
Italy |
12321
|
12750
|
12116
|
12625
|
12472
|
1 per cent
|
Denmark |
11386
|
20089
|
11040
|
11133
|
10644
|
-7 per cent
|
Norway |
21376
|
18175
|
10263
|
10040
|
-53 per cent
|
|
Finland |
9367
|
10051
|
8518
|
8116
|
-13 per cent
|
|
Greece |
7063
|
7250
|
n.a.
|
|||
Czech Republic |
3897
|
4271
|
n.a.
|
|||
Portugal |
3838
|
3725
|
4304
|
4247
|
4071
|
6 per cent
|
Austria |
4060
|
3265
|
3736
|
3786
|
3743
|
-8 per cent
|
Belgium |
3550
|
3995
|
3498
|
3251
|
3606
|
2 per cent
|
Hungary |
3456
|
2144
|
2758
|
-24 per cent
|
||
Ireland |
2321
|
2820
|
1743
|
2714
|
17 per cent
|
|
Slovak Republic |
1065
|
1048
|
1105
|
4 per cent
|
Source: New Cronos, Eurostat for Europe,
Japan Newspaper Publishers & Editors Association,
Census for US, StatCan for Canada, WAN and national newspaper associations
Le papier, un mal aimé
Diminution des titres (on en comptait 4.000 en 2008 pour l’ensemble des pays membres de l’OCDE) et de la diffusion payante des journaux (constatée dans tous les pays de l’OCDE entre 2000 et 2008, sauf en Irlande, en Pologne, en Turquie et au Portugal avec une hausse de +30% pour le premier pays cité à +10% pour le dernier) : la crise n’est pas la seule responsable. Les comportements des usagers évoluent au rythme des innovations technologiques et de l’offre d’informations gratuites, de plus en plus abondante. Les jeunes lisent plus volontiers en ligne que leurs aînés, et cette désaffection du support papier n’est pas sans incidence. « 20 des 30 pays membres sont confrontés à une diminution significative de leur lectorat, les jeunes ayant tendance à ne plus accorder autant d’importance au média imprimé« , souligne le rapport dans son introduction.
L’OCDE observe en outre que la presse spécialisée s’en sort mieux que la presse généraliste.
Autre chute épinglée, celle des recettes publicitaires (notamment aux Etats-Unis) dont dépendent la majorité des journaux (l’OCDE estime à 57% la part de la publicité dans le financement des entreprises de presse ; en France, Le Canard Enchaîné financé par ses seules ventes fait figure d’exception).
« Il ne s’agit pas d’une baisse constante (…) Le marché de la publicité a effectivement connu une forte croissance au cours des dernières décennies. Plus récemment, il a également été stimulé en partie par la publicité en ligne. Pour plus de la moitié des pays de l’OCDE, les recettes publicitaires des journaux ont augmenté de manière significative entre 2004 et 2007« , souligne néanmoins le rapport.
Les revenus publicitaires générés par l’information en ligne restent marginaux même s’ils augmentent au fil des ans : aux Etats-Unis, la proportion des recettes publicitaires « en ligne » par rapport aux recettes publicitaires « papier » s’élevait à 8,2% en 2008 (+5,6% par rapport à 2004) ; à l’échelle de l’OCDE, la publicité sur internet constitue seulement 4% des rentrées publicitaires globales des journaux.
« Toutefois, les données et les disparités observées actuellement pays par pays, ne permettent pas de conclure à ‘la mort du journal’, en particulier si l’on tient compte des pays en dehors de l’OCDE et des éventuels effets positifs de la reprise économique« , souligne le rapport.
Internet, pas une source exclusive
Les journaux en ligne gagnent chaque jour de nouveaux lecteurs, qui « consomment » l’information de manière radicalement différente. « Ils ont accès à une variété d’informations de sources différentes, libre à eux de les compiler pour en faire une information personnalisée« , dit le rapport de l’OCDE, qui souligne que « les jeunes ne lisent pas l’information de manière conventionnelle et régulière. » La tranche 25-35 ans est la plus active dans la lecture d’informations en ligne.
Plus de la moitié de la population lit un journal en ligne (un taux qui passe à 77% en Corée, pays où l’offre d’infos via la téléphonie mobile est particulièrement avancée) bien que dans la plupart des pays analysés, la télévision et les quotidiens restent les premières sources d’information. « Un nombre très limité de personnes s’appuie exclusivement sur l’information en ligne, souligne le rapport. Mais les données actuelles ne confirment pas tout à fait l’hypothèse de lecteurs en ligne très jeunes qui vont progressivement supplanter les lecteurs ‘papier’ plus âgés qui préfèrent ne pas lire de nouvelles en ligne. Elles tendent plutôt à démontrer que les lecteurs bien informés ont tendance à compléter en ligne leur consommation d’information. »
Avec internet, la chaîne de production de l’information s’est transformée. D’un modèle linéaire (journalistes ->lecteur), elle est passé à un modèle « multidirectionnel » et interactif. D’autre part, cette production d’information n’est plus exclusivement réservée aux seuls groupes de presse et journalistes. De nouveaux acteurs occupent le terrain : agrégateurs de contenus en ligne, « pure players » (qui informent exclusivement via le web), opérateurs de téléphonie mobile, journalistes « citoyens »… « Les outils technologiques permettent aux éditeurs de produire du contenu dans différents formats (…) L’internet sans fil, la téléphonie mobile et les nouvelles interfaces de lecture constituent de ‘grandes opportunités’ », dit le rapport.Qui demande « comment les différents acteurs de cet écosystème contribuent à l’engagement citoyen et plus généralement à la démocratie puisque chacun joue un rôle important à cet égard ; alors qu’il existe peu d’études empiriques sur l’impact d’internet sur les capacités analytiques des jeunes générations, en ce compris la consommation d’information. »
Une charge de travail accrue
Selon l’OCDE, le développement du contenu numérique « a eu un impact majeur sur le travail des journalistes (…) Les journalistes travaillent hors ligne et en ligne, ce qui peut conduire à une charge de travail accrue, à un besoin d’acquérir de nouvelles compétences, et à une plus grande ouverture aux commentaires des lecteurs. (…) Les journalistes peuvent utiliser ces différents moyens pour se construire une réputation personnelle (…) En théorie, les journalistes ne sont plus restreints à l’écriture et à l’édition pour un seul employeur (…) Ils ressentent en outre une pression accrue sur les budgets et peuvent être confrontés à des licenciements potentiels (en particulier les pigistes et les photographes désormais en concurrence avec des ressources gratuites). »
Le rapport dénonce ainsi les pressions exercées sur les journalistes (produire plus pour un maximum de supports) mais aussi le surmenage dont ils sont victimes et l’augmentation des contrats précaires. D’où la nécessité d’organisations professionnelles pour « mieux protéger les droits et conditions de travail, tout en lançant un nouveau débat sur la nécessité d’un contenu éthique et de qualité, quel que soit le mode de diffusion de l’information. » Et de relayer les préoccupations de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont l’AGJPB est membre, à propos du manque de fonds disponibles pour un journalisme de qualité, la détérioration des conditions d’emploi, la nécessité d’investir pour la formation et l’éducation.
La formation continue des journalistes « est essentielle pour maintenir un environnement informatif de haute qualité » : le rapport de l’OCDE relaie une préoccupation exprimée en 2008 par le Forum mondial des éditeurs. « Certains gouvernements ont pris en charge cette formation, comme aux Pays-Bas et en France », note encore le rapport.
Rôle renforcé des gouvernements
Notre époque est à l’expérience, tant dans la manière de construire l’information que dans celle de la financer : appels aux dons, pay-per-view, souscriptions, vente de biens et de services aux internautes ne suffisent toutefois pas à assurer un modèle économique viable, souligne l’OCDE, notamment pour financer la production d’information indépendante et approfondie. C’est pourquoi l’OCDE plaide pour que s’ouvre un débat sur la question du rôle des gouvernements « pour soutenir la diversité et la presse locale (…) A court terme, les pays de l’OCDE vont devoir prendre des mesures d’urgence (…) La question est également de savoir combien de temps et comment la production d’une information de haute qualité et pluraliste pourra être laissée aux seules lois du marché« .
Outre le rôle de l’Etat (subsides directs ou indirects, création de fonds pour soutenir le journalisme local), de nombreux autres sujets devront également être débattus, souligne l’OCDE : le maintien d’une presse indépendante de qualité, le refinancement de l’industrie de la presse, le rôle des diffuseurs de service public et leur impact sur les diffuseurs commerciaux, les compétences et conditions de travail des journalistes, la qualité et la fiabilité de l’information en ligne, la diversité des médias, les droits de propriété intellectuelle et technique ou encore les statut et code de conduite des producteurs d’info en ligne.
A propos des radiodiffuseurs publics, le rapport estime que ceux-ci « peuvent être des acteurs de premier plan« . Une Recommandation du Conseil de l’Europe, concernant le pluralisme des médias et la diversité de leurs contenus, préconise d’ailleurs de « permettre aux médias de service public de répondre pleinement et efficacement aux défis de la société de l’information, dans le respect du public/privé« .
Et de conclure que « l’impact du changement du paysage médiatique s’oriente dans deux directions opposées avec d’une part une forme décentralisée de la production d’information et, d’une autre, le risque que constituerait la disparition des médias traditionnels pour les fondements démocratiques de nos sociétés. »
L.D.
» Voir le site de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)