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Un Belge sur cinq lit la presse en ligne

23/06/2010

Si l’offre d’information n’a jamais été aussi importante et variée qu’aujourd’hui – développement des journaux gratuits (23% des quotidiens diffusés en Europe sont des gratuits), boom de l’information en ligne (le plus souvent gratuite, elle aussi), et apparition de nouveaux supports de lecture (téléphones mobiles, tablettes…) –, reste que les éditeurs de journaux sont confrontés aux effets de la crise. Une situation globale complexe et nuancée que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vient de décortiquer dans un rapport de 96 pages consacré à la presse d’information papier et en ligne.

Un marché de 164 milliards de dollars

The evolution of news and the internet (le rapport est rédigé en anglais) dresse un portrait assez complet de la situation dans les pays membres de l’OCDE. Un portrait d’abord économique, avec un marché global de l’édition d’information (presse papier et en ligne) estimé à 164 milliards de dollars en 2009. A titre de comparaison, celui de la musique enregistrée est de 27 milliards de dollars, celui des jeux vidéo, de 55 milliards ; celui des films et du cinéma, de 85 milliards ; et celui de l’édition de livres, de 112 milliards.

On observe, de 2004 à 2008, une croissance du marché des quotidiens dans la plupart des pays membres (+50% en Turquie, +35% en Grèce), à l’exception de 5 pays où des baisses ont été enregistrées : les Etats-Unis (-20%), le Japon (-9%), le Royaume Uni (-7%), le Canada (-2%) et les Pays-Bas (-1%). Mais dès 2008, un ralentissement s’amorce : -34% aux Etats-Unis par rapport à 2004, -22 % en Grande Bretagne et -18% au Japon pour les pays les plus affectés. 2007-2009 constituent peu ou prou trois années de pertes, notre pays s’en tirant plutôt pas mal (-8%) dans un contexte économique morose. (Photo Belpress.com)

» Tableau : estimation du recul du marché des journaux dans les pays de l’OCDE entre 2007 et 2009 (en %)

Le volume de l’emploi au sein des groupes de presse quotidienne bat également de l’aile : la forte croissance observée dans ce domaine au cours de la deuxième moitié du 20e siècle n’est plus qu’un lointain souvenir. De 1997 à 2007 (tableau ci-dessous), il a diminué de 53% en Norvège, de 41% aux Pays-Bas, de 25 % en Allemagne et de 12% aux Etats-Unis. Dans notre pays, il a néanmoins légèrement augmenté : + 2%.

Emploi dans l’industrie de l’édition de presse quotidienne
(en nombre de personnes)
1997
2000
2005
2006
2007
per cent change
between 1997 and 2007
(or first and last available year)
United States
403355
412627
380144
372048
356943
-12 per cent
Germany
105427
80517
79691
77101
-25 per cent
United Kingdom
51756
46279
53905
52047
1 per cent
Japan
61846
59117
52683
52262
50911
– 18 per cent
France
30446
31555
30779
30734
1 per cent
Spain
14155
17731
20507
23062
63 per cent
Sweden
17210
15736
14308
15375
15320
-11 per cent
Korea
21200
14662
13313
12679
14897
-30 per cent
Poland
9853
13090
12898
12829
30 per cent
Netherlands
21474
21468
12888
12779
12712
-41 per cent
Italy
12321
12750
12116
12625
12472
1 per cent
Denmark
11386
20089
11040
11133
10644
-7 per cent
Norway
21376
18175
10263
10040
-53 per cent
Finland
9367
10051
8518
8116
-13 per cent
Greece
7063
7250
n.a.
Czech Republic
3897
4271
n.a.
Portugal
3838
3725
4304
4247
4071
6 per cent
Austria
4060
3265
3736
3786
3743
-8 per cent
Belgium
3550
3995
3498
3251
3606
2 per cent
Hungary
3456
2144
2758
-24 per cent
Ireland
2321
2820
1743
2714
17 per cent
Slovak Republic
1065
1048
1105
4 per cent

Source: New Cronos, Eurostat for Europe,
Japan Newspaper Publishers & Editors Association,
Census for US, StatCan for Canada, WAN and national newspaper associations

Le papier, un mal aimé

Diminution des titres (on en comptait 4.000 en 2008 pour l’ensemble des pays membres de l’OCDE) et de la diffusion payante des journaux (constatée dans tous les pays de l’OCDE entre 2000 et 2008, sauf en Irlande, en Pologne, en Turquie et au Portugal avec une hausse de +30% pour le premier pays cité à +10% pour le dernier) : la crise n’est pas la seule responsable. Les comportements des usagers évoluent au rythme des innovations technologiques et de l’offre d’informations gratuites, de plus en plus abondante. Les jeunes lisent plus volontiers en ligne que leurs aînés, et cette désaffection du support papier n’est pas sans incidence. « 20 des 30 pays membres sont confrontés à une diminution significative de leur lectorat, les jeunes ayant tendance à ne plus accorder autant d’importance au média imprimé« , souligne le rapport dans son introduction.

L’OCDE observe en outre que la presse spécialisée s’en sort mieux que la presse généraliste.
Autre chute épinglée, celle des recettes publicitaires (notamment aux Etats-Unis) dont dépendent la majorité des journaux (l’OCDE estime à 57% la part de la publicité dans le financement des entreprises de presse ; en France, Le Canard Enchaîné financé par ses seules ventes fait figure d’exception).

« Il ne s’agit pas d’une baisse constante (…) Le marché de la publicité a effectivement connu une forte croissance au cours des dernières décennies. Plus récemment, il a également été stimulé en partie par la publicité en ligne. Pour plus de la moitié des pays de l’OCDE, les recettes publicitaires des journaux ont augmenté de manière significative entre 2004 et 2007« , souligne néanmoins le rapport.

Les revenus publicitaires générés par l’information en ligne restent marginaux même s’ils augmentent au fil des ans : aux Etats-Unis, la proportion des recettes publicitaires « en ligne » par rapport aux recettes publicitaires « papier » s’élevait à 8,2% en 2008 (+5,6% par rapport à 2004) ; à l’échelle de l’OCDE, la publicité sur internet constitue seulement 4% des rentrées publicitaires globales des journaux.

« Toutefois, les données et les disparités observées actuellement pays par pays, ne permettent pas de conclure à ‘la mort du journal’, en particulier si l’on tient compte des pays en dehors de l’OCDE et des éventuels effets positifs de la reprise économique« , souligne le rapport.

Internet, pas une source exclusive

Les journaux en ligne gagnent chaque jour de nouveaux lecteurs, qui « consomment » l’information de manière radicalement différente. « Ils ont accès à une variété d’informations de sources différentes, libre à eux de les compiler pour en faire une information personnalisée« , dit le rapport de l’OCDE, qui souligne que « les jeunes ne lisent pas l’information de manière conventionnelle et régulière. » La tranche 25-35 ans est la plus active dans la lecture d’informations en ligne.

Plus de la moitié de la population lit un journal en ligne (un taux qui passe à 77% en Corée, pays où l’offre d’infos via la téléphonie mobile est particulièrement avancée) bien que dans la plupart des pays analysés, la télévision et les quotidiens restent les premières sources d’information. « Un nombre très limité de personnes s’appuie exclusivement sur l’information en ligne, souligne le rapport. Mais les données actuelles ne confirment pas tout à fait l’hypothèse de lecteurs en ligne très jeunes qui vont progressivement supplanter les lecteurs ‘papier’ plus âgés qui préfèrent ne pas lire de nouvelles en ligne. Elles tendent plutôt à démontrer que les lecteurs bien informés ont tendance à compléter en ligne leur consommation d’information. »

Avec internet, la chaîne de production de l’information s’est transformée. D’un modèle linéaire (journalistes ->lecteur), elle est passé à un modèle « multidirectionnel » et interactif. D’autre part, cette production d’information n’est plus exclusivement réservée aux seuls groupes de presse et journalistes. De nouveaux acteurs occupent le terrain : agrégateurs de contenus en ligne, « pure players » (qui informent exclusivement via le web), opérateurs de téléphonie mobile, journalistes « citoyens »… « Les outils technologiques permettent aux éditeurs de produire du contenu dans différents formats (…) L’internet sans fil, la téléphonie mobile et les nouvelles interfaces de lecture constituent de ‘grandes opportunités’ », dit le rapport.Qui demande « comment les différents acteurs de cet écosystème contribuent à l’engagement citoyen et plus généralement à la démocratie puisque chacun joue un rôle important à cet égard ; alors qu’il existe peu d’études empiriques sur l’impact d’internet sur les capacités analytiques des jeunes générations, en ce compris la consommation d’information. »

Une charge de travail accrue

Selon l’OCDE, le développement du contenu numérique « a eu un impact majeur sur le travail des journalistes (…) Les journalistes travaillent hors ligne et en ligne, ce qui peut conduire à une charge de travail accrue, à un besoin d’acquérir de nouvelles compétences, et à une plus grande ouverture aux commentaires des lecteurs. (…) Les journalistes peuvent utiliser ces différents moyens pour se construire une réputation personnelle (…) En théorie, les journalistes ne sont plus restreints à l’écriture et à l’édition pour un seul employeur (…) Ils ressentent en outre une pression accrue sur les budgets et peuvent être confrontés à des licenciements potentiels (en particulier les pigistes et les photographes désormais en concurrence avec des ressources gratuites). »

Le rapport dénonce ainsi les pressions exercées sur les journalistes (produire plus pour un maximum de supports) mais aussi le surmenage dont ils sont victimes et l’augmentation des contrats précaires. D’où la nécessité d’organisations professionnelles pour « mieux protéger les droits et conditions de travail, tout en lançant un nouveau débat sur la nécessité d’un contenu éthique et de qualité, quel que soit le mode de diffusion de l’information. » Et de relayer les préoccupations de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont l’AGJPB est membre, à propos du manque de fonds disponibles pour un journalisme de qualité, la détérioration des conditions d’emploi, la nécessité d’investir pour la formation et l’éducation.

La formation continue des journalistes « est essentielle pour maintenir un environnement informatif de haute qualité » : le rapport de l’OCDE relaie une préoccupation exprimée en 2008 par le Forum mondial des éditeurs. « Certains gouvernements ont pris en charge cette formation, comme aux Pays-Bas et en France », note encore le rapport.

Rôle renforcé des gouvernements

Notre époque est à l’expérience, tant dans la manière de construire l’information que dans celle de la financer : appels aux dons, pay-per-view, souscriptions, vente de biens et de services aux internautes ne suffisent toutefois pas à assurer un modèle économique viable, souligne l’OCDE, notamment pour financer la production d’information indépendante et approfondie. C’est pourquoi l’OCDE plaide pour que s’ouvre un débat sur la question du rôle des gouvernements « pour soutenir la diversité et la presse locale (…) A court terme, les pays de l’OCDE vont devoir prendre des mesures d’urgence (…) La question est également de savoir combien de temps et comment la production d’une information de haute qualité et pluraliste pourra être laissée aux seules lois du marché« .

Outre le rôle de l’Etat (subsides directs ou indirects, création de fonds pour soutenir le journalisme local), de nombreux autres sujets devront également être débattus, souligne l’OCDE : le maintien d’une presse indépendante de qualité, le refinancement de l’industrie de la presse, le rôle des diffuseurs de service public et leur impact sur les diffuseurs commerciaux, les compétences et conditions de travail des journalistes, la qualité et la fiabilité de l’information en ligne, la diversité des médias, les droits de propriété intellectuelle et technique ou encore les statut et code de conduite des producteurs d’info en ligne.

A propos des radiodiffuseurs publics, le rapport estime que ceux-ci « peuvent être des acteurs de premier plan« . Une Recommandation du Conseil de l’Europe, concernant le pluralisme des médias et la diversité de leurs contenus, préconise d’ailleurs de « permettre aux médias de service public de répondre pleinement et efficacement aux défis de la société de l’information, dans le respect du public/privé« .

Et de conclure que « l’impact du changement du paysage médiatique s’oriente dans deux directions opposées avec d’une part une forme décentralisée de la production d’information et, d’une autre, le risque que constituerait la disparition des médias traditionnels pour les fondements démocratiques de nos sociétés. »

L.D.

» Voir le site de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

» Lire sur AFP Média Watch un compte rendu du rapport : « Crise de la presse, pas seulement américaine ou anglosaxonne »

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