Article publié dans Journalistes n°135, mars 2012.
« Il est difficile d’écrire un livre. L’écrire en prison, c’est encore plus difficile« , précisent Baris Pehlivan et Baris Terkoglu – deux journalistes du site turc d’information Odatv.com détenus depuis le 14 février 2011 à la prison de Silivri (Istanbul) dans le cadre de l’affaire « Ergenekon » – et qui viennent de publier un livre d’investigation baptisé « Sizinti. Wikileaks’te ünlü Türkler » (« Fuite. Les Turcs connus dans Wikileaks », éditions Kirmizikedi, février 2012).
L’ouvrage se focalise particulièrement sur les 7.918 câbles diplomatiques (messages cryptés envoyés entre 1966 et 2010 par l’ambassade des Etats-Unis à Ankara au Département d’Etat américain à Washington) et explique pourquoi la tempête mondiale des révélations provoquée par Wikileaks n’a pas eu le même impact en Turquie à cause de la mainmise et des pressions du pouvoir sur les médias dominants. Préférant d’abord ignorer les documents mettant à mal le double discours du parti gouvernemental AKP (népotisme, clientélisme, fonds secrets dans les paradis fiscaux,…), les médias turcs proches du pouvoir ont ensuite surfé sur la vague Wikileaks en ciblant seulement les passages traitant des adversaires de l’AKP (les militaires et les partis d’opposition).
Pour contrer ce black-out et cette partialité médiatique, les deux Baris ont entamé une enquête journalistique sur l’angle turc de l’affaire Wikileaks en vue de faciliter l’accès du public (via leur site Odatv et la publication d’un livre en langue turque) aux contenus des échanges diplomatiques controversés. Mais le 14 février 2011, alors qu’ils étaient en train de travailler sur ce livre, leur inculpation a été accompagnée par la saisie de l’ensemble de leurs travaux et ordinateurs. Sans ceux-ci et sans dactylo, les deux journalistes inculpés ont alors décidé de réécrire à la main depuis leur cellule la totalité de leur enquête. Un ouvrage qui dévoile la face cachée du pouvoir turc. Le journaliste détenu et co-auteur du livre Baris Terkoglu a par ailleurs été symboliquement adopté par l’AGJPB.
Mehmet Koksal