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Russie / Tchétchénie : Ne pas oublier Anna et les défenseurs de la liberté

12/05/2010


En « La guerre est officiellement finie en Tchétchénie. Grozny est reconstruite. Il y a des bars, des discothèques, des restaurants, de l’eau courante, du gaz, de quoi manger…. Mais dans ce silence de la reconstruction, on oublie que la Russie est omniprésente et que la population tchétchène vit actuellement sous la férule d’un dictateur mégalomane, et qu’elle est à nouveau condamnée au silence. »

Le spectacle « Non rééducable » de l’auteur italien Stefano Massini, qui fut présenté en mai à Bruxelles (téhâtre Marni), rendait hommage à ces hommes et ces femmes qui se battent chaque jour pour une liberté confisquée par « des années de souffrance, de radicalisation du conflit et du jeu des pouvoirs« . A l’instar de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou. Elle travaillait pour le journal indépendant Novaïa Gazeta, dans lequel elle traitait notamment de la situation en Tchétchénie, dénonçant tour à tour les exactions russes, le régime sévère du président tchétchène Ramzan Kadyrov ainsi que les nombreuses atteintes aux droits de l’Homme. Deux procès ont bien été organisés en Russie mais son meurtre n’est toujours pas élucidé. Le sera-t-il un jour ?

Passeurs d’histoire

Invités le 6 mai à l’issue du spectacle, Israpil Shavkhalov et Abdulkhazhi Duduev, rédacteurs en chef du trimestriel tchétchène Dosh – « l’un des derniers bastions de la presse indépendante dans le Nord Caucase« , souligne Olivier Basille, directeur général de Reporters sans frontières (RSF) Belgique – ont témoigné de la difficulté d’user de ce droit démocratique d’informer et d’être informé dans un contexte hostile.

« Nous ne sommes pas des héros, mais simplement des journalistes indépendants, c’est-à-dire considérés comme des ennemis de la patrie« , avaient-ils déclaré en décembre 2009, lorsque RSF leur décernait son Prix de la liberté de la presse. Leur mission ? Ils la perçoivent comme celle de passeurs d’une histoire dont la lecture diffère de celle du pouvoir. En toute humilité.
« La Russie s’enfonce dans un silence médiatique, dit Olivier Basille, et quelque part avec notre complicité. Ils attendent beaucoup de nous, Européens, mais il y a plus d’un an que l’on demande que des députés de l’UE se rendent dans les régions caucasiennes pour y rencontrer les rares journalistes qui y travaillent. Combien faudra-t-il d’assassinats de journalistes ? Et l’on peut clairement se poser la question de savoir si la Russie n’est pas en train de redevenir celle d’avant la guerre froide. Toutes les télévisions de ce pays sont contrôlées par un Etat qui les utilise à des fins propagandistes. »

Le mois dernier, les deux rédacteurs en chef de Dosh se trouvaient en Ingouchie (Etat voisin de la Tchétchénie) où après s’être rendus à une manifestation de citoyens, ils ont été retenus en otage pendant une heure, menacés par des hommes armés. Raconter la vérité : tous deux sont conscients du prix à payer. « Les droits civiques ne cessent d’être rognés, disent-ils, il n’y a plus de concurrence sur le plan politique et l’essentiel de la population est passive, dans un pays où le pouvoir a toujours fonctionné au service d’un état mythifié, ses intérêts passant avant ceux des individus. »

« Une guerre dont tout le monde se fout… »

Chez nous, déplore le directeur de RSF, on n’envoie plus de journalistes là-bas, partant du principe « que cela n’intéressera personne. Malheureusement, il s’agit d’une guerre dont tout le monde se fout… Lorsque l’on voit des responsable politiques français dire qu’il ne faut plus aller en Afghanistan parce qu’entre autres c’est dangereux et ça coûte de l’argent, cela pose question. » Dans deux ans, les Jeux Olympiques s’ouvriront à Moscou avec l’espoir que les nombreux journalistes étrangers qui couvriront l’événement sortiront des stades et profiteront de l’occasion pour parler d’autre chose que de cette grand-messe sportive. Car, autre difficulté, l’accès professionnel en Russie n’est pas toujours aisé : RSF s’est vu refuser des visas l’an passé, alors qu’un rassemblement était organisé à la mémoire d’Anna Politkovskaïa dans la capitale russe. « Et il y avait nettement moins de monde qu’aujourd’hui dans cette salle. Si on peut admettre que le pouvoir n’est pas directement responsable de sa mort, il a tout fait pour qu’on l’oublie ! »

L. D.

 

marge du spectacle Non rééducable, hommage à Anna Politkovskaïa et ceux qui chaque jour se battent pour leur liberté en Russie, le théâtre Marni accueillait, le 6 mai à Bruxelles, Israpil Shavkhalov et Abdulkhazhi Duduev, rédacteurs en chef du trimestriel indépendant tchétchène Dosh, et Olivier Basille, directeur de RSF Belgique. Ils ont témoigné de la difficulté d’informer dans cette région du monde où les journalistes risquent leur vie pour leur métier.

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