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« Questions royales » : l’AJP rappelle quelques principes professionnels

02/11/2012

Questions royales De « Questions royales » à « l’Affaire Deborsu », il n’y eut qu’un pas rapidement franchi suite aux extraits les plus sulfureux du livre consacré à la famille royale belge (1), publiés par Sudpresse quatre jours avant la conférence de presse.
On sait – à moins d’avoir séjourné sur Mars – les critiques virulentes qui croulèrent ensuite sur le journaliste Frédéric Deborsu. Elles étaient à vrai dire de natures diverses : d’aucuns lui ont reproché de salir la monarchie, certains ont mis en cause la véracité de plusieurs faits, d’autres ont coninfos_AJPé ses méthodes d’investigation, son journalisme allusif, son intrusion dans la vie privée ou encore le dévoilement d’une conversation avec le roi, rapportée par son frère, Christophe Deborsu.

A cela se sont ajoutés les soupçons d’avoir lui-même éventé les passages croustillants de son bouquin auprès de Sudpresse – ce que le journal a fermement démenti – et la très audible prise de distance de son employeur, la RTBF, à son égard. Et lorsque cet employeur décida d’écarter Deborsu du terrain et de l’antenne pour un mois, le temps de faire retomber la fièvre, la polémique fusa, cette fois entre la RTBF et ceux qui criaient au scandale devant cette mesure.

Dans ce tumulte, l’AJP a été naturellement interpellée. L’Association des journalistes est en effet concernée pleinement par l’affaire. Non pas pour se prononcer sur l’opportunité de l’ouvrage ou sur l’authenticité de ses révélations, mais parce que la déontologie, les méthodes et l’image des journalistes ont été mises en cause à travers le travail d’un journaliste professionnel agréé qui s’est beaucoup réclamé de son métier pour sa défense. Ces mises en cause sont venues à plusieurs reprises du public, dans la presse et sur les médias sociaux ; elles firent l’objet d’un débat télévisé à RTL-TVI ; elles donnèrent lieu à un communiqué de la SDJ de la RTBF et à plusieurs éditoriaux. Elles ont aussi amené le palais royal a prendre contact avec le Conseil de déontologie journalistique (CDJ).

Les points critiques

Après lecture attentive du livre, l’AJP veut donc rappeler quelques principes et valeurs professionnels et déontologiques dont certains sont soulevés en particulier ici.

? Notre collègue avait évidemment le droit, comme journaliste, de cerner au plus près la personnalité de ceux qui règnent ou règneront un jour sur le Royaume. Ce droit comporte celui d’être impertinent, excessif, cinglant et de désacraliser la famille royale aux yeux des plus fervents monarchistes. Des aspects de la vie privée des membres de cette famille peuvent être révélés au public, parce qu’ils font comprendre une attitude, des liens sociaux, des silences ou des déclarations. Ou parce qu’ils interfèrent avec la vie publique : l’argent des contribuables, la capacité physique ou intellectuelle d’assurer ses tâches, les valeurs prônées dans les discours, les affinités avec les mondes politiques et communautaires, etc.
L’essentiel des 300 pages de « Questions royales » relève de cette approche. Mais il s’y trouve aussi des révélations privées dont la pertinence en termes d’enjeux pour le pays, pour l’institution monarchique ou pour comprendre mieux le futur souverain pose… question. Même réduits à quelques paragraphes seulement, les passages sur l’ « amitié intense » de Philippe avec un homme, sur son « mariage forcé », sur la naissance de ses enfants dans un hôpital spécialiste de la procréation assistée, ou sur des attouchements dont Laurent aurait été victime dans sa jeunesse relèvent-ils de l’intérêt public ? Ont-ils « des conséquences directes et une véritable influence sur notre société » pour reprendre les mots de l’auteur (p.13) lorsqu’il se justifie ?
L’AJP rappelle son attachement au respect de la vie privée, y compris pour les personnages publics, sachant que le périmètre de leur vie privée est effectivement moins large que celui des anonymes.

? Le devoir de vérité qui s’impose comme principe conducteur de notre profession ne s’accomode pas d’un journalisme suggestif, qui procéderait par allusion. Les faits sont établis ou ne le sont pas. Et si le doute subsiste (la vérité est une obligation de moyen, pas de résultat), le journaliste en fait clairement part ou s’abstient de les évoquer. Les éléments de vie privée cités plus haut ont-ils reçu ce traitement ? Il appartiendra au CDJ, s’il devait être saisi formellement, de répondre.

? Une conversation entre un journaliste et une source est « off » lorsque cette source précise que ses propos ne peuvent faire partie du reportage. La conversation ne peut pas faire l’objet d’une publication, a fortiori lorsque la source en question est le roi qui n’accorde jamais d’interview et dont les entrevues sont soumises à la discrétion (de moins en moins) absolue du « colloque singulier ».
Frédéric Deborsu, aidé par son frère Christophe, n’a pas suivi cette règle, justifiant son choix par trois arguments : l’entrevue était une « interview » (pp. 15 et 251) ; après dix-huit années, ce n’est plus une conversation privée mais un document d’archives ; dans son livre de 1995, le cardinal Suenens a lui aussi révélé une confidence de Baudouin.
Chacun appréciera la pertinence de ces justifications. Pour sa part, l’AJP souligne que la confiance des sources à l’égard des journalistes est une condition essentielle de l’exercice de la profession. Rompre un « off » préalablement accordé nuit gravement à cette confiance dont la presse a absolument besoin.

Le débat autour de l’ouvrage de Frédéric Deborsu n’est manifestement pas clos. Et s’il soulève des interrogations critiques sur certains choix de l’auteur, son livre ne doit pas être réduit aux seuls passages incriminés. L’enquête largement documentée, la diversité des témoins, les démarches de terrain et les analyses proposées relèvent du travail d’un journaliste digne de ce nom.

L’Association des journalistes professionnels

(1) Questions royales, La Renaissance du Livre.

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