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Quel avenir pour la presse en crise ?

06/04/2009

Organisé par Le Soir, De Morgen, le Théâtre National et le KVS, le débat avait pour objectif d’expliquer au public les tenants de la crise qui touche durement nos médias. En français et en néerlandais, alstublief.


Mercredi 1er avril, 20 heures, la scène du Théâtre National à Bruxelles. Face au public, deux représentants des éditeurs, Thomas Leysen (Corelio) et Bernard Marchant (Rossel) ; deux représentants des journalistes, Martine Simonis (secrétaire générale AJP) et Marc Van de Looverbosch (président de la VVJ) ; deux rédacteurs en chef, Béatrice Delvaux (Le Soir) et Yves Desmet (De Morgen) ; et deux journalistes modérateurs, Mark Schaevers et Jean Blavier. Une mobilisation « nationale » pour parler de la crise. Et s’ils partagent le même constat, les avis des éditeurs et journalistes divergent quant aux remèdes à y apporter.

Changer de méthode

« La politique de gestion de la crise est une politique de spirale négative en ce sens qu’elle s’attaque aux moyens rédactionnels et humains. Ce sont des mauvaises réponses à la crise car toucher aux effectifs, c’est toucher aux contenus. Or c’est sur les contenus journalistiques qu’on arrivera à se sauver.
Personne ne voudra d’un journalisme au rabais, c’est pourquoi il faut changer le modèle. Les éditeurs ont essayé pendant dix ans la restructuration, les licenciements, les prépensions, la perte des compétences, la perte des talents. Nous proposons de miser sur l’intelligence des lecteurs et, dans les rédactions, de mettre fin aux pratiques de brutalités sociales.
Relever les défis numériques et dans le même temps compresser les coûts rédactionnels, c’est aller droit au suicide
« , affirme Martine Simonis.

Et Marc Van de Looverbosch de souligner que le mot « crise » est devenu l’alibi de groupes dégageant d’importants bénéfices. En 2006-2007, les bénéfices nets cumulés de Rossel s’élevaient à 46 millions d’euros, ceux de Corelio à 15 millions et ceux du Persgroep à 54 millions, note Martine Simonis. Des résultats honorables qui n’ont toutefois pas empêché les éditeurs de réclamer davantage de moyens auprès de la Communauté française. « La régulation n’est pas dangereuse, les subsides le sont« , estime néanmoins Bernard Marchant, lequel préfère citer les investissements de groupe et dit craindre l’arrivée d’une presse nationalisée « qui est peut-être l’espoir de certains, surtout des syndicats parce qu’on est beaucoup plus protégé quand on est fonctionnaire. »

Patrons et organisations professionnelles n’ont guère vécu de grandes histoires d’amour et cela s’est encore vérifié dans la bouche de l’administrateur délégué de Rossel. « Les journalistes ont 45 jours de congé par an et gagnent une moyenne de 4.000 euros mensuels (bruts, ndlr). On a barémisé ce métier : quel attrait pour le jeune aujourd’hui ? Et puis, comment accepter dans une entreprise du 21e siècle, et c’est ce que nous imposent les syndicats, qu’on ne puisse pas évaluer un journaliste ? »

Qualité vs gratuité

Investir dans les rédactions, créer de la valeur ajoutée et mobiliser les équipes sur un projet rédactionnel de qualité : tous s’accordent sur ce point. Même si, reconnaît Bernard Marchant, les éditeurs n’ont pas assez accompagné leurs journalistes au cours de ces dernières années. « On n’a pas assez formé mais les rédactions ne nous ont pas aidés à le faire ! Elles ont travaillé pendant vingt ans dans un profil d’indépendance et les structures étaient extrêmement cloisonnées. Les journalistes sont des progressistes et ils doivent l’être dans tous les secteurs, y compris dans leur travail. » Restructurer, licencier ? Un mal nécessaire, selon son confrère de Corelio. « Si on fait certains ajustements, c’est après une très grande réflexion et je pense que les éditeurs sont soucieux de ne pas toucher à la qualité du produit. »
Comment faire mieux avec moins d’effectif, demande, sceptique, Martine Simonis. « Les journalistes connaissent la crise depuis longtemps. On écrème le haut pour réduire la masse salariale. Ce qui permet d’engager des jeunes au statut précaire ou des faux indépendants, dont on constate avec grand dépit le retour dans le secteur. »

Yves Desmet fustige quant à lui la gratuisation de l’info et le business modèle « fast food » d’internet, qui ne profitent pas à la qualité de l’information. D’autant que « tout doit être gratuit mais nous, les journalistes, ne pouvons pas l’être ! »
« La question n’est pas de savoir si les journaux vont disparaître, renchérit Bernard Marchand, mais si les journaux vont rester des médias de masse. Va-t-on retourner à une situation comme au 19e siècle où seule l’élite s’informait et où les journaux appartenaient le plus souvent à des groupes de pression ? » C’est pourquoi, souligne-t-il, l’information en ligne est vouée à devenir payante. « Si elle ne le devient pas, l’info de qualité disparaîtra. »

 

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