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Pourquoi des radios communautaires ?

05/08/2010

Elles sont huit, en Communauté française, à émettre dans une langue étrangère pour la moitié au moins de leurs programmes. Elles sont, aux yeux du CSA? des outils précieux d’interculturalité.

Version « longue » de l’article du même titre publié dans Journalistes n°117 (juillet-août 2010)


Fin mai 2010, soit près de deux ans après l’entrée en vigueur d’un plan de fréquences ayant été perçu comme un traumatisme dans le paysage radiophonique francophone, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) belge a organisé une première rencontre avec les dirigeants des radios communautaires en Communauté française de Belgique. Communauté, communautaire, communautarisme… dans un pays qui ne parvient pas à sortir de ses conflits communautaires (linguistiques), ces terminologies fortement marquées peuvent porter à confusion et provoquer certaines crispations. Et c’est justement dans le souci de provoquer les échanges, la rencontre et le débat que l’organe d’autorisation (CSA) a mis sur pied un séminaire sur les rapports entre « radios communautaires et interculturalité ».

Pour amorcer la discussion, Bertrand Levant (prix du mémoire du CSA) a présenté un travail universitaire sur les radios communautaires au Canada dans lequel il s’est particulièrement focalisé sur la radio des Amérindiens du Canada. « L’existence d’une radio communautaire est importante pour la diversité culturelle d’une société. Ces radios permettent à une communauté de se retrouver et de s’identifier à travers une musique propre, des événements spécifiques, de rester en contact avec la communauté, de proposer des services et de donner de la voix aux personnes actives de la communauté« , explique le jeune universitaire. Il ajoute que « l’absence des éléments favorisant l’identification ou la reconnaissance d’une communauté peut avoir des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la société. Ainsi, les taux de violence et d’alcoolisme chez les Amérindiens sont généralement plus élevés que dans le reste de la population. Dans ce contexte, l’existence d’une radio communautaire peut devenir un instrument d’émancipation via la diffusion d’une langue, d’une culture ou d’une manière de vivre spécifique » dans un monde aux identités multiples.

Profil de radios

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel reconnaît cinq profils de radio en Communauté française : les radios généralistes, les radios géographiques, les radios thématiques, les radios communautaires et les radios d’expression. Bernard Dubuisson, conseiller au CSA, a dressé le profil de « radio communautaire » selon les critères du Conseil qui n’est ni une « radio à couverture communautaire« , ni une « radio associative » (community radio) dans le sens anglo-saxon. « La radio communautaire se définit par un public cible ayant des traits culturels (langue, origine, religion,…), elle est conçue par et pour ce groupe particulier, elle agit comme la représentation du groupe vers le grand public, sa programmation s’articule autour du trait culturel, sa structure est majoritairement dominée par les membres de la communauté et ses ressources sont basées sur le marché publicitaire du public cible (annonceurs, dons et bénévoles de la communauté)« , résume le conseiller.

Sur le plan linguistique, la Communauté française compte 8 radios communautaires qui diffusent des émissions en langue italienne, turque, arabe, berbère, yiddish, espagnole et grecque, 50 % des programmes se font dans la langue étrangère et 50 % en bilingue (français/langue étrangère). S’ajoutent 5 « radios d’expression » qui sont limitées à 25 % de programmes en langue étrangère avec une exigence de bilinguisme.

Avis des radios

« J’avoue qu’on était au début un peu vexé d’être dans la catégorie communautaire car l’idée même était dérangeante pour nous. Puis, on a clairement fait la distinction entre communautaire et communautariste, et aujourd’hui on a accepté l’idée de radio communautaire du CSA. Nos missions se résument ainsi : rendre un service public d’information pour la communauté juive, être un lieu de culture, d’expression, de musique et de débats. Nous essayons d’avoir un rayonnement au-delà de la communauté. La majorité des animateurs et des journalistes sont membres de la communauté juive et le financement est basé sur 1/3 de publicité et 2/3 de dons (des fondations, de gros et de petits donateurs). La radio met surtout en avant tout le monde juif et Israël« , nous dit Simon Cohn, de Radio Judaïca.

De son côté, Unal Yildirim, de Radio Gold, explique « qu’il est difficile de faire accepter les émissions bilingues ou les deux langues à la communauté turque. Même les jeunes veulent des émissions turc, sinon ils zappent sur les satellites« . Son principal but : faire connaître la culture turque qui est mal connue en Belgique. « Notre radio tourne avec 8 personnes (2 salariés et 6 bénévoles), il y a beaucoup de musique et beaucoup d’échanges d’informations avec la Turquie mais aussi avec les associations socioculturelles en Belgique. La diversité est déjà présente dans la radio puisque nous travaillons avec des animateurs turcs, belges et maghrébins. Le financement est le fait d’annonceurs turcs installés en Belgique, pas de dons« . En matière d’information, le dirigeant de la radio turque explique qu’il envoie régulièrement des informations belges à des journalistes basés à Izmir, Ankara ou Istanbul et qu’il reçoit en échange des contenus radiophoniques prêts à être diffusés en langue turque.

Philippe Mawet, de la Radio chrétienne francophone (RCF), fait également part de leur « difficulté à rejoindre le mot communautaire car c’est un mot gênant qui fait penser au communautarisme mais aussi au conflit communautaire, bref un mot-piège en Belgique. Nous n’aimons pas non plus l’idée qu’on s’adresse à un sous-public car nous ne sommes pas une radio-club qui ne s’adresse qu’à un public bien spécifique« . Il plaide donc pour une révision des dénominations, une renégociation des 70% de production propre exigés par le CSA et préfère la notion de « radio thématique ». « RCF n’est pas une radio religieuse, elle a une dimension œcuménique et même des non-croyants sont intéressés par nos émissions« , précise Philippe Mawet. Le financement de RCF, qui comte 3 employés temps-plein et des bénévoles, serait essentiellement assuré par des petits dons.

José-Manuel Martinez Ferreira, administrateur de Radio Alma, revient sur l’historique de cette radio communautaire qui diffuse en 5 langues depuis 1995 et qui tente d’être un trait d’union entre les différentes communautés bruxelloises originaires du Sud de l’Europe et d’Amérique latine. « Nous n’avons pas de problème avec l’usage du français car c’est la langue véhiculaire entre nos communautés et le public jeune maîtrise souvent mieux le français que la langue d’origine. La radio s’appuie sur 62 bénévoles et n’a pas de connotation commerciale. Son financement est assuré par 1/3 de publicité et 2/3 de dons ou de bénéfices découlant des événements, des partenariats que nous organisons« , explique le dirigeant. L’originalité de cette radio est qu’elle vise à fidéliser un public pour une émission hebdomadaire en particulier (et non pour une écoute continue) compte tenu des différentes langues utilisées à l’antenne.

Ahmed Bouda, de la Radio Almanar, se plaint du « morcellement » de la fréquence arabe dès 1986 par les autorités et estime qu’il est important d’avoir un contact plus structuré entre les radios communautaires et l’autorité régulatrice. Le dirigeant d’Almanar conçoit quatre missions pour la radio communautaire arabo-berbère : « fournir une information qui ne se base pas seulement sur les quelques agences anglo-saxonnes qui dominent le monde ; organiser des débats d’idées en reflétant les opinions dans la communauté ; diffuser des programmes civiques et pédagogiques pour combler le manque de savoir et assurer le financement par le démarchage personnel auprès des annonceurs Au début de la fréquence arabe dans les années 80, 90% des programmes diffusés l’étaient en langue arabe ; aujourd’hui 60% de nos émissions se font en langue française et cette tendance va s’accentuer avec l’évolution« .

Pas de dérogation flamande

Interpellé sur les effets désastreux du plan de fréquence en matière de créativité et de liberté d’expression, un membre du CSA a expliqué qu’à Bruxelles « 50% des ondes étaient réservés à la Communauté flamande et 50 % à la Communauté française mais que seule la Communauté française a pris en compte la diversité bruxelloise dans la gestion du parc radiophonique. Les Flamands se sont contentés de répéter ‘moet in het Vlaams’ [doit être en flamand] sans accorder la moindre dérogation. La Communauté française a donc fait au mieux sur base de ce qu’elle avait en main« .

Enfin deux conseillères du CSA (Emilie Buron et Mathilde Aret) ont présenté un « état des lieux des programmes communautaires radiophoniques en Communauté française de Belgique » – basé sur l’analyse de 568 programmes diffusés sur 15 radios communautaires – qui analyse la place de l’interculturalité (dialogue entre la communauté et le public extérieur) dans ces programmes et avance des pistes pour augmenter la place d’interculturalité sur ces radios. Par comparaison avec une radio généraliste, la radio communautaire accorde « plus d’importance aux programmes pour les primo-arrivants (confessionnel, services et accompagnement de la communauté), plus de place à l’information et plus d’émissions libre-antenne« . Les conseillères ont identifié « 5% des programmes interculturels sur l’ensemble des programmes diffusés ; tous les programmes interculturels se font en langue française ; 50% des programmes en langue étrangère sur les 180 programmes étudiés sur base de la langue de diffusion« , ce qui les amène à penser que le bilinguisme pourrait être un vecteur d’interculturalité.

Par ailleurs, fin juin, à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin, des acteurs des médias de la diversité se retrouvaient pour échanger leurs expériences. Ont notamment été évoqués le besoin de formation dans ce secteur (avec pourquoi pas, le concours des médias professionnels),
ainsi que le manque de visibilité et de moyens de ces médias.

Mehmet Koksal
Site : Parlemento.com
(agence de presse des minorités)

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