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Mission impossible au Moyen-Orient

14/03/2010

Le journalisme est impossible au Moyen-Orient. Joris Luyendijk en est convaincu après plusieurs années passées comme correspondant dans cette région pour des médias néerlandais. Il en a écrit un livre franc et lucide. Entretien.

Article publié dans Journalistes n°112 – février 2010


Ce qui ressort de Des hommes comme les autres. Correspondants au Moyen-Orient, le livre du Néerlandais Joris Luyendijk (photo) traduit chez nous par le journaliste Gerald de Hemptinne, est un sentiment de malaise vis-à-vis des images et des mots transmis depuis cette partie du monde. En poste au Caire, à Beyrouth puis à Jérusalem-Est pour les quotidiens De Volkskrant, NRC Handelsblad ou le service public néerlandais (Radio 1 et la chaîne NOS), il tente de nous faire comprendre sa tâche et le fonctionnement de l’actualité dans sa zone de couverture.

Une information filtrée, altérée et subjective

Joris Luyendijk Les méthodes journalistiques ne tiennent pas la route face à des dictatures et des conflits, écrit-il. Impossible de faire comprendre aux Pays-Bas qu’un ministère de l’Information ou une ambassade dans le « monde arabe » – censé n’être qu’un bloc bien que très diversifié
– ne fonctionne pas comme à l’Ouest. Ou que la crédibilité des experts, scientifiques et défenseurs des droits humains n’est jamais garantie parce qu’ils doivent leur poste à leurs relations ou qu’ils sont vite accusés – à tort ou à raison – de travailler pour un service secret. Difficile aussi d’expliquer à la fois la distorsion des images (lorsque CNN montre des Irakiens en joie aux pieds de la statue de Saddam Hussein, Al Jazeera filme des soldats américains et les premiers signes d’une occupation) et le déséquilibre des mots (le Hamas est « anti-Israël » mais les colons juifs ne sont jamais « anti-Palestiniens » ; les politiciens israéliens qui cherchent des solutions pacifiques sont des « colombes », leurs alter ego palestiniens des « modérés ». Comme il n’y a pas de place pour ce hors champ dans la couverture du Moyen-Orient, l’info en provenance de cette zone reste filtrée, partielle, altérée et subjective. Les correspondants peuvent essayer de fournir plusieurs lectures d’un même événement, ce sera toujours celle qui confirme l’image existante qui sera choisie par les médias occidentaux. Ce livre qui dérange apporte cependant avec une pointe « d’humour arabe » un bel éclairage sur le métier qu’il décrypte, et pousse le lecteur à la critique de sa propre représentation de cette région.

Le livre est sévère à l’égard de votre travail comme correspondant et vis-à-vis des canaux de l’actualité internationale, qu’est-ce qui vous a donné envie de l’écrire ?

Joris Luydendijk : Dans un premier temps, mon instinct de journaliste : le fonctionnement des médias est une histoire passionnante à raconter. Ensuite, je me suis dit que les gens devaient savoir comment ça se passe, pas seulement les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs mais aussi les rédacteurs en chef parce qu’ils ont rarement une expérience de correspondant hors de la zone occidentale.

Vous avez quitté votre poste après l’invasion américaine en Irak en 2003. La couverture du « monde arabe » a-t-elle changé depuis ?

J. L. : L’offre de supports a beaucoup changé. Je pense à l’apparition des téléphones portables équipés de caméra (l’exécution de Saddam Hussein, par exemple), aux sites internet comme YouTube sur lesquels sont postés des images d’attentats ou de décapitations, aux blogs (comme celui de Salam Pax depuis Bagdad), à Facebook ou à Twitter lors des protestations en Iran. Il faut dire que les nouveaux médias donnent aussi – inévitablement – une image altérée, c’est le propre de toute représentation.

Quelles ont été les réactions lors de la parution du livre aux Pays-Bas ?

J. L. : Bon nombre de collègues étaient furieux. L’autocritique n’est jamais simple, en particulier pour les journalistes qui y sont peu enclins. Mais beaucoup d’autres confrères étaient satisfaits parce que le livre donne une image réaliste de la manière dont les journalistes travaillent.

Que couvrez-vous à présent et quel regard portez-vous sur les médias depuis votre retour ?

J. L. : J’écris sur le développement durable, notamment pour le site internet du NRC Handelsblad. Difficile de balayer l’ensemble du paysage médiatique même dans un petit pays comme les Pays-Bas mais, de manière générale, peu de choses ont changé. Les médias d’information prétendent toujours a) qu’ils offrent une vue d’ensemble sur le monde, b) qu’ils y sélectionnent l’essentiel de l’information et c) qu’ils le font de manière objective. Ils ne crient pas a, b et c haut et fort mais c’est ce qui ressort de la manière dont ils le présentent.

Cécile Walschaerts

« Des hommes comme les autres. Correspondants au Moyen-Orient », Joris Luyendijk, Editions Nevicata, 240 pp., 19,95 €

 

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