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Médias en crise et en mutation

23/11/2009

AFP Mediawatch AFP MediaWatch, l’observatoire des médias de l’Agence France Presse (AFP), vient de publier son septième rapport sur la situation des médias dans le monde. Intitulé « The context is king ! » (« Le contexte est roi ! »), il répertorie et commente, en 122 pages, les différents événements et tendances qui ont bousculé le monde médiatique ces derniers mois. Ses deux principaux enseignements : la crise ne frappe plus la seule presse écrite tandis que médias, informatique et télécommunications convergent vers de nouveaux modes d’économie du tout aux supports numériques. Adieu papier ?

Une transition laborieuse

« Chacun sait que demain, qui arrive plus vite que prévu, ne sera plus comme avant l’Internet il y a 15 ans, le Web 2.0 il y a 5 ans, ou la crise économique cette année. Nous devons réinventer nos métiers dans un cadre radicalement nouveau. Et commencer par admettre la sévérité de la situation et l’ampleur des mutations dans la production, la diffusion et la consommation d’informations », estime Eric Scherer, directeur Stratégies et relations extérieures de l’AFP. Mais pour les médias traditionnels, relève-t-il, « la transition vers le numérique est laborieuse : le web, qui ne représente qu’un peu plus de 10% des revenus, n’est toujours pas au centre des stratégies et reste souvent comme un additif ennuyeux qu’il faut avoir. (…) Il reste difficile d’admettre qu’Internet est un média différent, que le ‘monde numérique est un autre univers’, avec ses propres ressorts sociétaux et culturels. Malheureusement aujourd’hui, soit on nie cette réalité, soit on la met sous le tapis. Comme dans la musique hier, le cinéma aujourd’hui et le livre demain. »

Réseaux sociaux en expansion et médias en danger

325 millions de personnes inscrites sur Facebook, plus de quatre milliards de photos téléchargées sur Flickr : les médias sociaux ne sont pas qu’une mode, observe Eric Scherer. « Jamais les gens n’ont cherché et consommé autant d’informations, mais les professionnels n’ont plus le monopole de la parole. Le public est actif et contribue. Près de 20% passé sur l’Internet l’est dans les blogs et les réseaux sociaux. » Et tandis que des millions de médias essaiment sur la Toile et qu’Internet devient le premier des médias (56% d’Européens connectés en 2008), la crise continue à frapper durement les médias « traditionnels ». Les recettes publicitaires s’effondrent, les abonnements et ventes au numéro diminuent, des rédactions licencient, des journaux ferment aux Etats-Unis mais aussi en Europe. En Grande-Bretagne, selon le Guardian, la moitié des journaux pourrait fermer d’ici 2004. Les agences de presse ne sont pas épargnées : le quart des effectifs de la rédaction de l’agence italienne Ansa a été supprimée en 3 ans. En Belgique, Belga a baissé ses prix de 10% et les éditeurs « veulent que nous retournions à nos fondamentaux » et que « nous fassions le boulot qu’ils ne veulent pas faire : flux d’info la nuit et le week-end, factuels… « , déclare une source non citée rapport.

Les nouveaux médias ne sont pas pour autant mieux lotis : le site espagnol Soitu.es, un pure player diffusé uniquement via le web, a fermé fin octobre et d’ici la fin de l’année, le site d’information allemand Netzeitung.de lui emboîtera le pas. Dans le même temps, de nouveaux grands médias se créent : AOL, société de services internet, emploie plus de 2.000 journalistes et pigistes (reste à voir l’impact qu’aura sur ceux-ci la séparation Time Warner / AOL, qui vient d’annoncer une importante restructuration visant à réduire ses coûts annuel de 300 millions de dollars), et MSN s’est doté d’une importante rédaction londonienne.

Créer de la valeur ajoutée et éduquer aux médias

Les éditeurs de journaux réfléchissent à la manière d’émerger de ce marasme. Le retour au payant est envisagé par certains, Rupert Murdoch en tête, mais ériger des murs payants risque de faire fuir l’internaute, comme ce fut le cas en 2005 pour le site du journal espagnol El Pais qui n’a jamais récupéré son audience perdue. Dans ce tableau particulièrement sombre se dégage pourtant quelques lueurs : l’enrichissement des contenus, les services personnalisés aux lecteurs – par exemple, le site américain printcasting.com permet de créer des magazines papier à la carte et le site allemand niiu.de donne la possibilité de créer son journal papier à partir d’articles publiés dans une vingtaine de journaux allemands et étrangers.

Dans ce contexte, éduquer et « alphabétiser » aux médias s’avère de plus en plus une priorité « car la prise de parole, l’essor de la co-production non rémunérée s’accompagne d’un manque de savoir-faire média auquel il est possible de donner des réponses« , indique le rapport.

Le journalisme d’investigation menacé

Et le journalisme, dans tout ça ? Il doit s’adapter à la nouvelle donne, devenant « perméable, interactif, 24/7, multi plate-forme, désagrégé et convergent. » Mais si collecte des faits, analyses et opinions sont désormais partagés avec l’internaute, l’investigation est menacée : elle est la plus difficile à financer et la première à faire les frais des mesures d’économies engagées dans de nombreux journaux. Aux Etats-Unis, le journalisme d’investigation est aujourd’hui financé par des fondations et « des ONG activistes arrivent désormais sur ce créneau« , relève le rapport. Qui constate également que de plus en plus de journalistes développent leur propre marque, leur personnalité garantissant la valeur ajoutée de l’information qu’ils diffusent. Certains ne manquent d’ailleurs pas d’imagination, n’hésitant plus à lancer leurs propres médias.

Des modèles hybrides

« Le prix des news tend vers zéro, mais l’enrichissement et le contexte peuvent encore être payants, conclut Eric Scherer, (…) La valeur est bien dans la rareté, l’accès, le confort d’usage, le tri, le filtrage, la présentation, la personnalisation, le contexte donné à un contenu, qui ne doit plus être un produit mais un service. (…) Faute de modèle économique pertinent sur le web, l’orientation générale, qui se dessine et qui ne fait que commencer, nous amène, à court terme, vers des modèles hybrides. »

L.D.

» Lire le rapport AFP Mediawatch n°7 « Context is king ! » (PDF)

» Voir le site AFP Mediawatch

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