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Tunisie: liberté de répression

28/02/2006

CostArticle publié dans le n°65 de Journalistes
(novembre 2005)

La Tunisie, terre de civilisation et bastion de la culture et de la pensée éclairée, comme l’affirmait le président Ben Ali dans son message de bienvenue aux participants au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui s’est déroulé à Tunis du 16 au 18 novembre dernier, ou terre de privation des libertés, à commencer par celle d’informer ? Quelques semaines avant l’ouverture de ce sommet, le président du syndicat des journalistes Tunisiens, Lotfi Hajji, se voyait interdire l’organisation du congrès constitutif de son organisation. Avec sept personnalités de l’opposition et défenseurs des droits de l’homme, il entamait ensuite une grève de la faim pour une durée d’un mois.
« Lorsque nous avons commencé cette grève, nous avions trois revendications essentielles : la liberté d’association, la liberté d’expression en ce compris la levée des pressions sur les journalistes, et la libération des prisonniers politiques »,nous explique Lotfi Hajji, qui dresse de cette action un bilan positif.

« Si le gouvernement n’a répondu à aucune de nos revendications, les choses ont néanmoins bougé. Il y a eu un élan énorme de solidarité. Plusieurs manifestations de soutien ont eu lieu, des groupes de 250 à 300 personnes venaient chaque jour nous rendre visite. Cela faisait 15 ans que je n’avais plus vu pareille mobilisation ! »

Plusieurs incidents visant à empêcher les journalistes étrangers d’exercer librement leur métier ont émaillé le SMSI. Et Lotfi Hajji rappelle que les journalistes Tunisiens vivent quasi quotidiennement ce genre de situation. « N’oubliez pas que, ici, les journalistes travaillent sous pression. Tout est fait pour les empêcher de travailler dans des normes déontologiques et professionnelles correctes. La censure n’est pas directe car le pouvoir bénéficie de la complicité des patrons de presse qui, à leur tour, donnent leurs directives aux journalistes. Ceux qui s’alignent ainsi sur la ligne officielle sont empêchés d’écrire des articles critiquant le pouvoir. Quant à ceux qui décident de ne pas jouer ce jeu-là, ils sont soit renvoyés, soit mis à l’écart de la rédaction. »

Premières victimes de la répression tunisienne lors du SMSI, un journaliste du quotidien Libération, attaqué par plusieurs hommes alors qu’il enquêtait dans les rues de Tunis sur la situation des droits de l’homme ; et Robert Ménard, secrétaire général de l’organisation Reporters sans frontières (RSF), déclaré quant à lui persona non grata sur le territoire tunisien.
Une équipe de la RTBF a aussi fait lesfrais du système répressif, empêchée par les forces de sécurité tunisiennes de se rendre à une réunion de représentants d’ONG. Des officiers en civil ont arraché sa caméra devant la salle de réunion et ont confisqué la cassette vidéo contenant les reportages réalisés.
Si la RTBF a réagi vivement contre le traitement réservé à son équipe – « Marianne Klaric et Jean-Jacques Mathy tournaient un sujet sur la liberté d’expression et d’association en compagnie de Radhia Nasraoui, opposante tunisienne, avocate et militante des droits humains » –, reste que la méthode est régulièrement utilisée dès lors qu’il s’agit d’empêcher un rassemblement « qui dérange ».

Lotf Hajji raconte que les réunions du syndicat de journalistes qu’il préside ont, pour cette raison, lieu en toute clandestinité : « dans des cafés, en cachette, ou au bureau de notre avocat. La loi reconnaît la liberté syndicale et, malgré ça, on nous l’interdit arbitrairement. »

L’AJP a également proinfos_AJPé « contre l’intimidation, la brutalité et les entraves mises au travail des journalistes en Tunisie ». Et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) s’est directement adressée aux gouvernements participant au SMSI. « Trop nombreux sont les gouvernements qui ne tolèrent pas l’opposition, négligent la défense des droits des citoyens et sont cruellement indifférents aux rudes épreuves auxquelles sont soumis les médias et les journalistes en raison de leur engagement en faveur de la liberté d’expression. (…) Pour cette raison, il était nécessaire de renforcer la liberté d’expression et de placer la liberté de la presse en première place de l’ordre du jour international. L’absence d’engagement visant à appliquer les principes fondamentaux de la liberté d’expression confirme l’avis de nombreuses personnes dans les médias qui estiment que le SMSI ne créera pas l’environnement adéquat pour une société de l’information basée sur des valeurs démocratiques », a déclaré Aidan White, secrétaire général de la FIJ.

En Tunisie, comme dans de trop nombreux autres pays, la situation d’urgence dure depuis beaucoup trop longtemps : « Il faut continuer à parler de nous, les faits dont ont été victimes plusieurs journalistes étrangers ne sont pas occasionnels. Le combat doit être permanent », plaide Lotfi Hajji, pour qui deux choses « simples » sont actuellement prioritaires : « lever les pressions contre les journalistes et permettre de créer librement de nouveaux médias. Ce qui n’est actuellement pas le cas, puisque toute demande doit être avalisée par le ministère de l’Intérieur…» Pas si simple, hélas…

Laurence DIERICKX

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