« Le vrai patron, c’est le lecteur »
Pratiquons notre métier avec humilité, dit Franz-Olivier Giesbert. Nous ne sommes pas là pour donner la divine parole.
Article publié dans Journalistes n°101, février 2009
Journaliste le jour et écrivain la nuit, militant européen hystérique comme il le dit lui-même, Franz-Olivier Giesbert est un grand voyageur, notait André Van Hecke – qui a bien connu le monde des médias – en l’accueillant récemment pour une soirée littéraire au Cercle de Wallonie. De fait, comme il se balade entre Marseille et Paris via le Vaucluse, du Nouvel Observateur il a rallié Le Figaro pour le diriger pendant une douzaine d’années avant de rejoindre Le Point – dont il tient à présent les rênes sans se priver du succès sur plusieurs chaînes de télévision. Il est également allé de Mitterand à Chirac dans des livres aux vérités quelquefois bien trempées. Photo : Alain Trellu
Pas la faute à la presse
« C’est souvent ‘la faute à la presse’. Mais je n’ai pas trouvé qu’elle ait dramatisé quoi que ce soit en ce qui concerne la crise financière. Au contraire, elle est restée en arrière de la main pendant les mois qui ont précédé le grand choc de novembre dernier. Quelques médias ont peut-être suscité l’inquiétude à certains moments. Mais on ne crée pas une crise de toutes pièces. C’est vrai que l’économie relève de la psychologie. Et quand il y a une bulle, il faut se barrer. A chaque génération, on le sait. »
L’immobilier, internet, puis les subprimes… cela devait éclater, poursuit le médiatique FOG. « Là, on ne se situe plus dans la psychologie mais face à une escroquerie qui a infecté le système et aux agissements de quelques banques. Peut-être a-t-on accéléré le cours des choses. Mais simplement parce que nous faisons notre métier. II suffit parfois de donner les cours de la Bourse… »
On exagère à tort l’impact de la presse sur les événements, estime Franz-Olivier Giesbert, car dans la plupart des pays, elle est assez contradictoire. « La bonne presse, c’est quand il y a débat. En France, elle est probablement plus tenue. Il y a comme un rouleau compresseur : tout le monde reprend tout le monde. Du ’20 heures’ aux journaux et à la radio, une spirale infernale se crée. Les mêmes informations, les mêmes analyses se répètent grosso modo. On vit pratiquement dans un no man’s land des médias. »
Intéresser le lecteur
« Certes, la presse a une influence, mais le pouvoir, elle ne l’a pas, quoi qu’en pensent encore certains. En réalité, il appartient au lecteur ! La grande idée du ‘nouveau journalisme’ était de croire que celui-ci représentait en soi un pouvoir. Comme l’a noté Raymond Aron, le vrai patron d’un journal, ce n’est pas le propriétaire, ce n’est pas davantage le pdg, le directeur, ni le chef de la pub, ce n’est pas le journaliste non plus, même s’il a repris du galon. C’est le lecteur! Pour provoquer, je dirais même que c’est le client… Nous le suivons. Il faut avoir cette modestie. Nous, journalistes, n’avons pas adopté assez une posture d’humilité. C’est pour cela qu’un grand nombre de journaux français rencontrent des difficultés. Baignés d’une culture apparue dans les années 80 et 90, les journalistes ont pensé qu’il leur revenait de fixer la règle. Non, c’est le lecteur qui le fait. Nous ne sommes pas là pour donner la divine parole. On n’est pas investi d’une telle mission parce qu’on a sa carte de presse. Nous devons fournir des informations qui intéressent nos lecteurs. Et aussi susciter l’envie de s’informer. On ne fait pas de journaux sans lecteurs, on les fait pour eux. »
Le temps du contenu
« Après l’époque des titres de combat, puis celle de la presse consensuelle, au service de tous, voici venu le temps du contenu, y compris les opinions, même tranchées. Pour autant, le public ne s’en laisse pas conter. Il dispose aujourd’hui de multiples moyens pour s’informer. Chaque lecteur est pratiquement un rédacteur en chef… »
Le web ? « Voilà un monde en pleine évolution, avec un gros problème de rentabilité. Comme source d’information, il n’est pas encore entré dans l’âge adulte. Mais souvenez-vous qu’à leurs débuts, les radios libres suscitaient des éclats de rire. Elles sont à présent très professionnelles. La presse écrite ne se sauvera pas en se détournant d’internet. Car à son tour, ce média proliférant se professionnalise à vive allure… »
Sans aller jusqu’à prétendre qu’il faut renoncer à lutter contre les concentrations, il estime qu’il s’agit d’une bataille d’arrière-garde. « Je préfère les regroupements dans de vrais groupes de presse qu’autour d’hommes d’affaires qui achètent des journaux pour obtenir des rendez-vous plus rapprochés avec les ministres ou le président de la République. Ce système-là a quelque chose de dégradant et rappelle celui des années 30 et 40, lorsqu’il y avait de fréquents va-et-vient entre le pouvoir et l’argent. C’est malsain. »
Un journal se bâtit autour d’une identité, d’idéaux. Cela ne consiste pas à soutenir aveuglement un acteur ou un clan politique. Certains médias l’ont oublié. « Nous sommes pour la solidarité dans le cadre du marché régulé. A partir de cette conviction forte, il nous faut offrir au lecteur quelque chose d’intéressant, de marquant. » FOG n’hésite pas à dire qu’avec Le Point, il a voulu construire l’hebdomadaire de l’élite. « Quand les études ont montré que nous formons le plus grand bassin de riches de la presse française, nous avons sabré le champagne ! »
Marc Chamut