Le projet de réforme fiscale des droits d’auteur appauvrit les journalistes indépendant.e.s
Communiqué de l’AJP, de la VVJ et de la SAJ
60% des journalistes indépendant.e.s gagnent moins de 2000 euros bruts par mois[i]. Pourtant, la réforme fiscale actuellement en discussion va encore davantage les précariser.
Le ministre Van Peteghem a le projet de réformer la fiscalité des revenus de droits d’auteur. Son objectif est de limiter les bénéficiaires du système actuel, mais aussi d’introduire légalement un ratio de droits d’auteur admissible par rapport aux revenus professionnels (salaires ou honoraires). Ainsi, les revenus de droits d’auteur, pour bénéficier du régime fiscal de taxation à 15%, seraient limités à 30% du salaire ou des honoraires de l’auteur ou de l’autrice. Pour les journalistes indépendant.e.s, cela signifierait une importante perte de revenus nets. Actuellement, et conformément à un ruling sectoriel (décision anticipée issue de longues discussions entre l’administration fiscale et le secteur médias), les journalistes freelances peuvent en effet facturer jusqu’à 50% du prix global la cession de leurs droits sur leurs productions journalistiques. Si la réforme envisagée devait passer comme telle, cela signifierait une perte nette importante pour ces travailleurs du secteur média, en raison de l’accroissement de la pression fiscale.
Indépendant.e.s versus salarié.e.s
Le ratio (70/30) envisagé par le ministre s’appliquerait indifféremment à tous les auteurs et autrices : aux écrivains (qui ont pourtant depuis des siècles, été rémunérés uniquement en droits d’auteur !), aux artistes, aux journalistes, aux photographes… et ce, peu importe leur réelle situation professionnelle : les auteurs et autrices salarié.e.s comme les indépendant.e.s. devraient se plier à la même règle.
Les auteurs et autrices indépendant.e.s, dont les journalistes, connaissent pourtant une tout autre situation que les salarié.e.s, marquée par la précarité de leurs revenus et une production journalistique plus irrégulière.
En outre, il y a des différences objectives entre les revenus des salarié.e.s et ceux des indépendant.e.s. Ainsi, lorsqu’un.e journaliste salarié.e de son média en reçoit p.ex. 2000 € nets, ce montant couvre son travail (salaire), la cession de ses droits (droits d’auteur), mais aussi des jours d’inactivité (congés, maladie) et du travail non productif d’œuvres : les journalistes salarié.e.s effectuent de nombreuses autres tâches (gestion, animation, administration). Par contre, les journalistes freelances ne reçoivent en principe un revenu QUE lorsqu’ils et elles produisent des œuvres. Le ou la freelance qui reçoit 2000 € nets d’un éditeur lui a donc fourni des œuvres à due concurrence de ce revenu. Dès lors, accorder aux salarié.e.s et aux freelances un ratio équivalent de revenus considérés comme des droits d’auteur revient à discriminer les plus précaires de la profession : les journalistes freelances.
Depuis une dizaine d’années, le secteur média s’est organisé pour tenir compte de ces différences objectives entre ces catégories : le ratio 70/30 a été avalisé par l’administration fiscale pour les journalistes salarié.e.s (ruling spécifique), le ratio 50/50 pour les freelances. L’archive (par exemple la revente de photos anciennes), pour laquelle plus aucun travail n’est fourni, est logiquement facturée uniquement en droits d’auteur.
La réforme ne modifierait pas la situation pour les journalistes salariés (ils respectent déjà le ratio 70/30) mais elle va chambouler la situation des freelances, elle va les appauvrir. Faut-il rappeler que pour cette catégorie, il n’y a ni indexation des piges, ni augmentation conventionnelle, ni barème décent ? Quand 60% des journalistes freelances gagnent en deçà de 2000 euros bruts/mois, faut-il encore les pénaliser par une réforme fiscale qui vise à contrer des abus, bien réels ceux-là, d’autres secteurs (entrepreneurs de pompes funèbres, avocats, architectes, chefs d’entreprises, comptables, informaticiens…) qui tout à coup se sont découverts des talents d’auteurs et ont facturé des droits d’auteur à leurs « clients » ?
L’AJP, la VVJ et la SAJ demandent au ministre des Finances de revenir, pour les auteurs et autrices indépendant.e.s, à une position plus réaliste et qui tient compte des usages, des prix du marché et de leur situation au sein du secteur médiatique.
Contact :
Martine Simonis, SG AJP : 0476 22 50 52
[i] Enquête AJP 2022 : https://journalistefreelance.be/Les-tarifs-pratiques-par-les-medias-belges-francophones-2022