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L’art de raconter des histoires vraies

23/12/2010

Alain Lallemand signe un manuel de récit journalistique destiné aux enseignants, aux étudiants et aux journalistes professionnels : plus de deux cents pages pour appréhender les arcanes du journalisme narratif.


Qu’est-ce qu’un bon récit journalistique ? Sur quoi s’appuie-t-il ? Comment le structurer et le mettre en forme ? Avec quels outils ? Et quelle éthique ? Le journalisme narratif puise à la fois dans les codes de la littérature et du scénario. Léon Tolstoï, Albert Camus, Joseph Kessel, Albert Londres, Ernest Hemingway, Rudyard Kipling puis Truman Capote posèrent les jalons d’un genre qui, relève Alain Lallemand dans Journalisme narratif en pratique, se développa davantage dans la presse anglo-saxonne. Dans les années 1960, ce « ‘nouveau journalisme’ correspondait en principal à l’exploration des limites formelles de la langue et de la narration« , écrit-il. Avec le magazine français Actuel (1968-1994), apparaît le « ‘nouveau journalisme nouveau’ qui, sans extravagances formelles, explorera désormais les potentialités de diverses méthodes d’enquête, osera l’intimité du journaliste avec son sujet, sur des temps parfois extrêmement longs. (…) Il n’éprouve plus de complexe formel mais la rigueur intellectuelle de l’enquête journalistique reprend le dessus sur l’éblouissement littéraire« . Le manuel pratique d’Alain Lallemand s’inscrit dans cette filiation. Régal de lecture, il abonde en conseils, exemples, ressources et pistes de réflexion.

Le patron, c’est l’histoire

Aux (futurs) journalistes souhaitant emprunter cette voie, Alain Lallemand – journaliste salarié au Soir depuis 1990 – rappelle que cette forme de journalisme s’appuie, en premier lieu, « sur une enquête solide« . Et que pour mieux la décrire, il faudra se placer au plus près de l’action « sans pour autant fusionner avec son sujet ». Si l’enquête suppose le temps nécessaire au travail de recherche et de vérification, le récit présume celui de la définition de sa structure, du plan de son arc narratif, « l’architecture de votre suspens« . Il s’agira ensuite de construire les scènes de l’histoire – « le vrai patron« , selon le romancier Stephen King –, de définir leur transition et de les rythmer.

Le travail d’écriture amorcé, les figures de style ne sont pas interdites : « Tout est permis pour autant que ces techniques s’adaptent au réel. » Alain Lallemand propose une boîte à outils qui, sans prétendre à l’exhaustivité, occupe tout de même un quart de l’ouvrage. Un chapitre est ensuite consacré aux « superstructures » que sont le livre (linéaire) et le webdocumentaire (non linéaire). Le dernier chapitre s’intéresse aux aspects déontologiques inhérents à la démarche journalistique. Il repose en outre la question de la distance ou, à l’inverse, de l’implication du journaliste sur le terrain : « Est-il possible d’envisager le journalisme en ‘action’ sans admettre qu’il nous faut rester humain ? »

« Colline 875 »

Alain Lallemand a confié la préface de son livre au célèbre journaliste néo-zélandais Peter Arnett. Correspondant de guerre pendant près d’un demi-siècle, il est notamment l’auteur de « Colline 875 », une dépêche diffusée par l’Associated Press et devenue aujourd’hui devenue un classique du récit historique. « Durant un moment, sur cette Colline 875, j’ai ressenti que ma personne n’avait pas de valeur. Quand j’ai vu la mort, la destruction, le carnage, je me suis senti malade. Je n’étais qu’un reporter », écrivait-il en novembre 1967 depuis la région de Dak To au Vietnam.

L. D.

« Journalisme narratif en pratique », Alain Lallemand, éd. De Boeck, 224 pp., 19,50 €.
Infos : http://www.alainlallemand.be/narratif.eu/Accueil.html

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