Communiqués

Embargo : à propos de l’affaire dEUS

24/04/2008

Publié dans Journalistes n°92 (avril 2008)

« Des critiques sous pression », titrait Journalistes début avril. On aurait préféré ne pas en recevoir, quelques jours plus tard, une aussi éclatante démonstration. Le groupe dEUS et Universal Music Belgium ont inventé pour la presse belge le « contrat d’embargo avec amende ». Le Soir, suivi par De Morgen, l’a rompu. Cela a permis un débat utile, notamment au sein du Conseil de direction de l’AJP, le 18 avril.

Plusieurs avis en matière d’embargo ont été rendus par l’ex-Conseil de déontologie national de l’AGJPB et, plus récemment, par le Raad voor de journalistiek (RVDJ, conseil de déontologie flamand).

» L’embargo est la demande d’un silence temporaire, un ajournement dans la diffusion d’une nouvelle. Il faut distinguer deux situations : celle où l’accord du journaliste est sollicité et celle où l’embargo est demandé unilatéralement par celui qui fournit l’information. Dans le premier cas, le journaliste qui a donné son accord doit tenir sa parole. Dans le second, il est d’usage de respecter l’embargo en tenant compte de : la volonté de ne pas porter préjudice à la personne ou à l’institution qui fournit l’information et qui demande simplement de surseoir à la publication (au lancement sur les ondes) ; et la prise en compte des conséquences d’un non-respect de l’embargo. Le préjudice peut atteindre celui qui fournit l’information mais aussi la collectivité.

Dans tous les cas, la demande d’embargo doit être motivée et limitée dans le temps. Son contenu doit être décrit le plus précisément possible. A défaut, l’embargo s’apparente à une mesure de censure.

» Le RVDJ souligne que l’embargo restreint la liberté d’accès et de diffusion de l’information. Il ajoute que s’il s’agit d’un embargo unilatéral, il doit valoir pour tous les médias et doit être levé dès lors que l’information est publiée ailleurs.

» Le Conseil de direction de l’AJP souhaite réaffirmer ces principes et rappeler la nécessité de respecter les embargos conformes aux règles qui précèdent. La technique contractuelle et individuelle utilisée par Universal Music pour obtenir des embargos sur une interview du groupe dEUS, avec en cas de non respect une pénalité conventionnelle de 25.000 €, n’entre que partiellement dans les règles rappelées ci-avant : il reste des points de discussion.
Ni l’ex-Conseil de déontologie ni le Raad n’ont précisé en quoi consiste la motivation nécessaire de la demande d’embargo. Pourrait on par exemple rompre un embargo parce que l’on trouverait ses raisons futiles ou parce que sa motivation initiale se révèlerait fausse ou sans objet ?

» On rencontre la plupart des embargos en matière financière et boursière, ou encore en matière judiciaire : ces derniers sont motivés par l’intérêt de la justice (par exemple, une arrestation imminente) ou celui de justiciables (parents de victimes non encore informés, …). Respecter ce type d’embargos bien motivés, limités dans le temps et clairement circonscrits, tombe sous le sens pour les professionnels.
Certains embargos sont annoncés dans l’intérêt des journalistes ou des médias, soit pour leur permettre de préparer correctement un dossier (un discours avant qu’il ne soit prononcé par exemple), soit pour les mettre tous sur un pied d’égalité dans le timing de parution. Cette motivation peut être suffisante si elle est effective.
Enfin, le code suisse de déontologie considère que l’embargo n’est pas acceptable s’il ne vise que l’intérêt privé de la source (« embargo de commodité ») : la motivation n’est dans ce cas pas suffisante.

Une demande motivée ?

» En l’occurrence, la motivation ne figure pas dans le contrat proposé à la signature. Les interviews du groupe avaient déjà été diffusées sur internet, dans une revue hollandaise disponible en Belgique et dans la presse française un mois auparavant. L’embargo belge respecté aurait mis sur un pied d’égalité les médias belges. S’agissait-il d’un embargo de commodité ou encore d’un nouveau type d’ « embargo de marketing », visant pour Universal Music à lancer une campagne de promotion d’un produit en tir groupé ? La sanction financière exorbitante dont il était assorti en cas de non respect pourrait le laisser penser. S’agit-il dès lors d’un embargo motivé, au sens des règles de déontologie précédemment énoncées ? Sous réserve de plus amples informations que l’AJP demandera, la réponse est négative.

» S’agit-il d’une raison suffisante pour rompre cet embargo ? Le Conseil de direction de l’AJP ne ne peut approuver au plan déontologique que l’on accepte un embargo, quelles que soient les controverses portant sur sa validité juridique, puis qu’on le rompe, même dans le but d’en dénoncer les conditions. Il appartenait aux journalistes de refuser les modalités imposées par l’entreprise s’ils les trouvaient inacceptables, ce que certains ont fait. Cette attitude, que l’AJP aurait souhaitée collective et spontanée, n’empêchait pas de dénoncer les méthodes d’Universal Music ; cela aurait probablement amené la firme à modifier ses techniques de communication et marketing.

» L’AJP appelle les organisateurs d’événements et les sources en général à éviter autant que possible la technique de l’embargo ; s’il se révèle néanmoins nécessaire, à s’abstenir d’y adjoindre des clauses financières. L’AJP se propose de mettre en place les moyens d’une action concertée. L’idée d’une « ligne rouge » est à l’examen.

Le Conseil de direction de l’AJP

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