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Culture et médias : amis ou ennemis ?

29/05/2009

Dans le contexte de crise que traversent bon nombre des médias tant au nord qu’au sud du pays, le Théâtre national et son homologue flamand, le KVS, ont organisé le 20 mai dernier un second débat public, bilingue et gratuit autour des pratiques médiatiques et journalistiques avec cette fois, au centre des discussions, l’info culturelle.
La soirée était modérée par Jacques Bredael, ancienne figure emblématique du JT de la RTBF, du côté francophone, et de l’auteur flamand Johan Thielemans. Dans les rangs des intervenants, on retrouvait Jacques Delcuvellerie, fondateur et directeur du collectif d’artistes Groupov ; Wouter Hillaert, journaliste au Standaard ; Jean-Marie Wynants, journaliste au Soir ; Carine Bratzlavsky, représentant la RTBF et responsable culture Arte Belgique ; Michael De Cock, directeur artistique de ‘t Arsenaal ; Laurent Raphaël, rédacteur en chef du supplément culturel du Vif/L’Express, Focus Vif ; Walter Couvreur coordinateur culture à la VRT, et Peter Vantyghem, responsable culture et médias au Standaard. Chacun d’entre eux disposait d’une dizaine de minutes pour s’exprimer, avant de laisser la parole à la salle.

La culture, trop « people » ?

« La culture est de plus en plus malmenée, les supports qui en font l’écho se raréfient ou usent davantage d’un ton ‘people’ jugé plus vendeur. Le traitement de fond, l’éclectisme, le regard critique sont remis en cause. Ce qui constitue un paradoxe au vu de la diversité et de la richesse de l’offre culturelle, toutes disciplines confondues. Le phénomène touche autant la presse écrite qu’audiovisuelle« , pouvait-on lire sur l’invitation, qui concluait sur une situation jugée « inquiétante » en Communauté française, et carrément « catastrophique » en Communauté flamande.
« Démocratiser la culture, c’est créer le désir de culture et, dans ce processus, les médias jouent un rôle essentiel« , a d’emblée souligné Jacques Bredael, avant de poser la question : « La culture a-t-elle la place qu’elle mérite ? » Pour Michael De Cock, la presse flamande a connu une nette évolution au cours de ces dix dernières années, offrant de plus en plus de médias cultivant un genre populaire et « dont on n’attend pas qu’ils creusent l’info culturelle en profondeur« , déplore-t-il.
« Dans les médias, tout ce qui concerne la culture s’appuie toujours sur un certain nombre de préjugés à propos du public, qui présuppose d’une certaine manière que, la culture, c’est chiant. Il faut donc que l’information culturelle soit amusante, légère, courte. En aucun cas, il ne s’agit d’apprendre quelque chose« , estime quant à lui Jacques Delcuvellerie, qui plaide pour une formation du public à la culture, notamment dans l’enseignement – « on ne forme pas à être un bon amateur de culture »» – car « les médias ne font rien dans ce sens, au contraire !« .
Conscient que la culture occupe une place de moins en moins importante, sous une forme de plus en plus légère et de plus en plus courte, Wouter Hillaert s’est associé, début de cette année, à d’autres journalistes flamands au sein du collectif Press for more. Cette plate-forme ouverte au public milite pour une info culturelle moins orientée sur son aspect commercial et people ; pour une info critique, commentée, creusée (lire ci-contre). Peter Vantyghem ne dira pas autre chose, constatant néanmoins que la culture occupe trois fois plus de place aujourd’hui dans son journal, De Standaard : « d’un côté, il y a plus et, de l’autre, il y a moins… » Tandis que Walter Couvreur rappelle que l’apparition de la télévision commerciale (privée) dans le courant des années 90 a indiscutablement modifié la donne en matière d’information culturelle.

Une remise en perspective

Jean-Marie Wynants ne partage pas l’analyse des précédents intervenants, tout au moins en ce qui concerne son journal : depuis la récente réorganisation des cahiers du Soir, il estime que la culture y a gagné sur tous les terrains. A titre d’exemple, il compare les pages « culture » du Soir, tous les dix ans, du 20 mai 1969 au 20 mai 2009. « En 2001, époque de l’arrivée de Daniel Van Wylick à la direction générale des publications de Rossel, plusieurs enquêtes ont été menées. Celles-ci ont conclu que la culture n’était pas la rubrique la plus lue du journal mais qu’elle était consultée chaque jour par des lecteurs qui s’estimaient heureux avec l’offre et qui demandaient même plus de culture. A côté de ça, par exemple, pour les sports, il y avait un noyau dur de gens qui voulaient des sports et un autre noyau dur qui n’en voulait pas. La conclusion de Daniel Van Wylick a été simple : en culture, il n’y a qu’une seule chose à faire, continuez comme vous faites. Aujourd’hui, ce qui a changé, à une période difficile où tous les journaux se cherchent un peu, ce sont les cahiers différents. La dernière formule que nous venons de lancer ne compte plus de Une culturelle spécifique mais nous conservons à l’intérieur de ce cahier le même nombre de pages ; tandis que l’on revient également à de plus grands papiers, plus fouillés, y compris dans le secteur culturel. Il s’agit d’un travail journalistique que l’on avait peut-être un peu perdu de vue. »
Au Vif, Laurent Raphaël dénombre pas moins d’une soixantaine de pages dédiées à culture, parmi lesquelles les cinquante du supplément Focus Vif (hors pages télé). « Ce qui est énorme. Il n’y a aucun autre secteur qui bénéficie d’une telle visibilité. Il y a une différence entre l’audiovisuel et la presse écrite, le premier étant encore un peu dans cette logique de peopolisation que la presse écrite a tenté de suivre également. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est un peu vain, qu’on fonçait dans une impasse, et qu’il faut chercher d’autres solutions pour concurrencer en particulier internet, gros pourvoyeur d’information culturelle pour les jeunes générations. On sent bien que la valeur ajoutée va se faire aussi dans l’analyse. L’idée est d’aller vers une transversalité, où on ne va plus servir une info culturelle de manière brute mais à laquelle on va systématiquement réfléchir pour la mettre en perspective. »
Mais, remarque Jacques Bredael, un article ne se résumerait-il pas le plus souvent à une photo « avec un petit peu de texte autour » ? Réponse : « Quand on a cinquante pages, on peut se permettre d’approfondir un petit peu ! » Et Laurent Raphaël de souligner un autre élément : « La culture n’est donc pas si mal lotie, d’autant que ce supplément, lancé il y a un an et demi, est totalement déficitaire et n’attire aucune publicité. Roularta était bien conscient qu’il s’agissait d’un investissement ‘à perte’ mais il voulait rajeunir son audience, et ça c’est un des éléments-clé pour l’avenir. »

Manque d’intérêt et public à rajeunir

Pour Carine Bratzlavsky, « la culture ne s’est jamais porté aussi bien qu’aujourd’hui : les salles de cinéma n’ont pas tellement désempli, les tickets de concert se vendent comme des petits pains et les librairies font le plein. » Et, à la RTBF, la culture n’est pas un parent pauvre, notamment avec Arte Belgique qui, la veille, enregistrait depuis Cannes 50.000 téléspectateurs, dont 20.000 lors de la diffusion à 20 heures sur Arte ; et le concours Reine Elisabeth, certains soirs, plus de 40.000. « Il y a des choses qui se font et je n’ai pas le sentiment qu’il y a moins qu’avant. Ce qui a probablement changé, c’est qu’on est probablement plus attentifs à nos publics. Des powerpoints ont fait leur apparition dans nos institutions et la réflexion, aujourd’hui, c’est de savoir à qui on parle et qui ça peut intéresser. Je ne veux pas croire qu’il y ait des présupposés. Par contre, c’est vrai qu’on se repose sur ces analyses. Selon une analyse qualitative menée auprès de 1.000 personnes par l’ULB, l’UCL et coordonnée par le CRISP, relativement peu de gens, paradoxalement, s’intéressent à la culture. En moyenne, un quart des sondés aime la chose culturelle. Je pense que la culture se porterait mieux si le rapport à la culture, dans ce pays, changeait. La télévision n’est jamais que le reflet de la société dans laquelle nous vivons. Donc commençons par ça, la culture à l’école ! (…) La question du rajeunissement du public se pose aussi. »
Dans le public, Gérald Vinckenbosch, qui a quitté le boulevard Reyers le 1er avril dernier pour prendre sa prépension après 35 ans à la RTBF, s’explique sur les raisons de son départ : une vision de l’offre culturelle qu’il ne partageait pas avec le directeur de Musiq’ 3 depuis trois ans, Bernard Meillat, qu’il qualifie de « dérive par rapport à notre mission de services public. » Et de citer en exemple les émissions enregistrées par des comédiens : plutôt que de faire appel comme dans le passé à des comédiens belges payés 175 € la prestation, la chaîne préfère aujourd’hui « des têtes d’affiche françaises » telles que Jean-Louis Trintignant, rémunéré quelque 4.000 € (hors déplacement) pour une séance de travail de quatre heures. « Tout ça au nom du vedettariat ! »
Ce à quoi Carine Bratzlavsky répond que « tout est toujours question de dosage et ça n’empêche pas à la fois de faire Magritte et des choses moins populaires. »

L. D.

Press for more

Pour une info culturelle de qualité dans les médias flamands

Etes-vous content de la couverture de l’info culturelle diffusée dans votre journal, à la radio ou à la télévision ? Vous jugez qu’il y en a trop peu? Qu’elle est trop superficielle? Ou trop banale? « Press we can », rétorque non sans humour un groupe de journalistes flamands issus de différents médias (De Morgen, De Standaard, Knack, VRT…), lesquels observent chaque jour une dégradation de la qualité de l’information culturelle. Une info qui ne se résumerait quasi plus qu’à des copier-coller de communiqués : « Il en résulte une presse culturelle qui se contente de paraphraser les informations pré-mâchées du marketing culturel, sans la valeur ajoutée que recherche le véritable amateur de culture« .
C’est pourquoi, au sein de la plate-forme « Press for more », ils entendent sensibiliser leurs rédacteurs en chef ainsi que leurs lecteurs-téléspectateurs-auditeurs via une pétition à signer en ligne.
» www.pressformore.be

Télécharger le dossier consacré à la critique culturelle, publié dans Journalistes n°91 (mars 2008) – format PDF, coordonné par Jean-François Dumont» Des critiques sous pressions
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