Actus

Crises humanitaires et conflits armés : les défis du journalisme

29/05/2012

En zones sensibles, quels sont les défis du journalisme et de l’information ? Le débat était ouvert, le 25 avril dernier à Louvain-la-Neuve, dans le cadre du Festival des libertés.


Version longue de l’article publié dans Journalistes n°137 (mai 2012)

Françoise Wallemacq, Maryse Jacobs, Jean-Paul Marthoz et Valérie Michaux. Photos AJP.

« Dans la tradition journalistique, il y a toujours cette volonté d’aller au-delà de l’information telle qu’elle est définie par la machine à informer. Cet engagement en faveur de l’humanité est une démarche coninfos_AJPée au sein de la profession. Certains disent que ce n’est pas notre rôle ou qu’il y a trop de risques de passer de l’engagement à l’esprit partisan », explique Jean-Paul Marthoz, journaliste et conseiller au Comité pour la protection des journalistes (CPJ), en guise d’introduction au débat. Pour lui, « la question du devoir d’informer est intéressante à se poser lorsqu’il s’agit de conflits évidents, comme la Syrie aujourd’hui. Il faut y aller, c’est une crise qu’il faut couvrir. Mais il est aussi intéressant de s’interroger sur les conflits qu’on ne voit pas, ceux qui sont en train de monter, ceux dont on ne parle plus mais qui n’ont pas été totalement résolus. Les journalistes doivent-ils s’investir dans la connaissance et le suivi de sujets ? Ici, on parle aussi de journalisme prémonitoire. La valeur principale du journalisme est le doute or on a de moins en moins le temps de douter et on ne fait plus son métier de manière sereine. Par ailleurs, la disparition de la spécialisation des journalistes a abandonné à certaines ONG un territoire qui était occupé par la presse. » Et de rappeler que plus de 900 journalistes ont perdu la vie depuis 1992, selon les données du CPJ, et que la majorité d’entre eux sont morts assassinés. « La plupart de ces journalistes sont des journalistes locaux sans lesquels la presse internationale ne pourrait pas travailler. »

Protéger les journalistes

Dans le même temps, « que fait-on pour assurer de manière beaucoup plus structurée la sécurité des journalistes ? Depuis quelques années, on assiste au développement d’initiatives pour défendre la protection des journalistes et leur assurer aussi une meilleure formation. Des associations intergouvernementales travaillent sur la protection des journalistes. Par exemple, l’UNECSO s’est engagée, ces dernières années, à essayer de développer un plan contre l’impunité qui serait appliqué par l’ensemble des agences des Nations Unies, avec la difficulté de se retrouver face à des pays autoritaires qui ne tolèrent en aucun cas la présence de journalistes dans leur zone. Il y a aussi la résolution 1738 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui reconnaît aux journalistes les privilèges de la Convention de Genève. Mais c’est une résolution et les Nations unies ne sont pas nécessairement à même d’appliquer leurs propres résolutions. »

Des guerres médiatiques

Maryse Jacobs et Jean-Paul Marthoz Maryse Jacobs et Jean-Paul Marthoz
Le témoignage du journaliste sur le terrain apporte de la valeur ajoutée à l’information car « c’est là que l’on peut se rendre compte de ce qui se passe réellement », estime Maryse Jacobs, rédactrice en chef « Europe et international » à la RTBF. « A la RTBF, tout journaliste qui part sur le terrain le fait de manière volontaire, sur proposition du journaliste ou du rédacteur en chef. Parfois, on a des possibilités de partir avec des ONG. Qu’est-ce qui justifie qu’on décide d’envoyer un journaliste en situation de guerre ? Il y a l’argumentation du journaliste qui veut partir. Il nous est arrivé de décider qu’on n’accepte pas qu’un journaliste rentre dans un pays car la situation était, à nos yeux, beaucoup trop incertaine et dangereuse. » Maryse Jacobs déplore en outre que « de moins en moins d’argent à investir dans le reportage. Il nous arrive de laisser tomber certains voyages faute de moyens pour couvrir le sujet – dans des situations de crises oubliées ou qui ne sont pas évidentes à couvrir – comme on l’aurait souhaité. » A cette situation s’ajoute, poursuit-elle, un climat de défiance envers les journalistes. « Avant, on se sentait presque protégé par notre statut. Les gens étaient contents de nous voir. Ils savaient qu’on allait témoigner. Aujourd’hui, nous sommes devenus des cibles, ce qui rend notre travail d’autant plus difficile. C’est vrai qu’il y a le devoir d’informer mais je suis aussi responsable de la vie de mes journalistes sur le terrain. A partir du moment où je sais qu’il existe un risque, ils ne partent pas. » Tandis que la journaliste Françoise Wallemacq (RTBF) observe que « les choses ont évolué en vingt ans et les guerres sont aujourd’hui des guerres médiatiques. »

Sur le terrain des ONG

Valérie Michaux et Jean-Paul Marthoz

Le terrain des conflits est occupé par les acteurs politiques, les reporters-citoyens (que Jean-Paul Marthoz qualifie de « faiseurs d’informations » et qui contribuent « à la guerre de la désinformation ») et par les ONG, dont la mission première n’est pas celle d’informer. « Même si la tentation est grande, pour certaines, de marcher sur les platebandes des journalistes tant la contradiction peut être grande entre les priorités humanitaires et celles des rédactions, comme lorsqu’on travaille dans des crises ‘invendables’ », affirme Valérie Michaux, responsable de la communication de Médecins sans frontières (MSF). « On va être une source d’infos mais parfois nous demandons aux journalistes de ne pas nous citer. Parfois aussi, nous préférerons le silence pour ne pas compromettre nos actions. »

L. D.

Partagez sur