Communiqués

A propos de la publication d’un droit de réponse jugée « circonstance aggravante pour un journaliste »

18/11/2011

C’est une vive inquiétude pour l’indépendance de la profession et la protection des journalistes qui amène la Maison de la presse de Charleroi à réagir par le biais de ce courrier. Un jugement de la 14e chambre du tribunal de première instance de Bruxelles du 4 octobre dernier, qui vient de condamner notre confrère indépendant Didier Albin, pourrait en effet mettre à mal ces principes si d’aventure il devait faire jurisprudence.

Contexte

En 2007, Didier Albin publie un article dans Le Soir sur l’inculpation d’Alain Rosenoer, directeur général de la Société Wallonne du Logement. Vu l’importance de l’information, le quotidien décide de lui consacrer sa Une. Dès le lendemain, le « scoop » est démenti, Alain Rosenoer faisant l’objet d’une citation à comparaître devant la Chambre du Conseil, et non d’une inculpation. Cette subtilité juridique a induit le journaliste en erreur, d’autant qu’il n’a reçu de son informateur qu’une partie du réquisitoire de renvoi, amputée de la demande de non-lieu formulée, dès avant sa comparution, à l’égard d’Alain Rosenoer.

Dès le lendemain, Le Soir publie un rectificatif et Didier Albin, qui reconnait l’erreur, y présente ses plus plates excuses. Durant deux ans, cette affaire tombera aux oubliettes, jusqu’à ce qu’Alain Rosenoer dépose plainte au civil contre la SA Rossel, son éditeur responsable Patrick Hurbain et notre confrère Didier Albin.

Contenu du jugement

Alors que l’action est dite non fondée en ce qui concerne la SA Rossel et ‘éditeur responsable, notre confrère Didier Albin est condamné au payement de 1.500 euros de dommages et intérêts. Mais surtout, il est condamné à faire publier les treize pages de ce jugement en première page du Soir dans les trente jours du prononcé, sous peine d’une astreinte personnelle de 2.500 euros par jour de retard ou de non-publication.

Dans ses attendus, le jugement de la 14e chambre retient « qu’en tout état de cause, le rectificatif publié ne saurait faire disparaître la faute initiale ». Il note encore qu’en publiant ce rectificatif et les excuses qui l’accompagnaient, le journal conforte les griefs avancés par M. Rosenoer, et donc les raisons de condamner notre confrère.

Nos inquiétudes

– Nous constatons que, si ce jugement devait faire jurisprudence, le fondement du droit de réponse serait mis à mal. Sa publication entraînerait automatiquement la reconnaissance d’une faute et ouvrirait la porte à une condamnation au civil. Dès lors, quelle attitude doit adopter, sans risquer la ruine personnelle, un journaliste qui commet une erreur et désire la réparer par la publication d’un droit de réponse, si cette mise au point est désormais considérée comme une circonstance aggravante de la faute avouée ?

– Ce jugement condamne le journaliste à rembourser sa faute sur ses deniers et, au contraire, disculpe totalement le média qui a choisi de publier son information. Pourtant, ce n’est pas l’auteur de cet article, journaliste indépendant de surcroît, qui a décidé d’y consacrer la Une, ni de lui octroyer tant de place dans ses pages. (…) Il est également reproché à Didier Albin la photo et le contenu de la légende… Depuis quand les indépendants décident de faire publier une photo et en rédigent-ils la légende?

– L’exécution même de ce jugement nous laisse perplexes : comment un simple pigiste pourrait-il décider de faire publier un droit de réponse en Une d’un journal, sauf à en financer la publication sur ses deniers propres ? Dans ce cas-ci, un accord a pu être trouvé entre Didier Albin et Le Soir, afin d’éviter la ruine personnelle du journaliste. Mais tous les quotidiens seront-ils aussi magnanimes ? Condamner un journaliste à publier un droit de réponse en Une, avec d’énormes astreintes par jour de retard, n’équivaut-il pas à le conduire à la faillite personnelle ?

Par ce courrier, le Conseil d’administration de la Maison de la presse de Charleroi et ses membres souhaitent avertir l’ensemble des journalistes professionnels que, si cette décision n’est pas réformée en appel ou en cassation, elle ouvrira la voie à tous les recours possibles au civil. En Belgique, nous disposons aujourd’hui d’une presse écrite mal en point et d’une presse d’opinion frileuse. De tels jugements risquent de l’étrangler, à coup d’exigences financières insupportables.

La Maison de la presse de Charleroi entend, par ce courrier, soutenir toute action menée par l’AJP pour contrer cette décision et conscientiser les journalistes de sa portée.

N.B. : L’AJP – qui jusque là n’avait pas été sollicitée pour la défense du dossier – a demandé à ses avocats spécialisés d’examiner le dossier en vue d’interjeter appel pour Didier Albin.

Cette condamnation fait l’objet d’un développement dans le prochain numéro du mensuel Journalistes (n°131), à paraître fin novembre.

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